Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
Quelques mois plus tard, l’oncle d’Aliénor devait trouver la mort à Maaratha dans un combat contre Nûr al-Dîn qui enverra la tête de son adversaire comme trophée au calife de Bagdad.
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Revenons à Tusculum et à l’entretien privé entre Louis VII et le pape Eugène III. Si l’on peut supposer que l’affaire d’Antioche soit la première chose dont le roi parle au pape, il a également beaucoup d’autres griefs contre sa femme ; le souverain peut se plaindre autant que le mari. Leurs premières années de mariage et de règne ont été marquées par leur jeunesse – ils avaient à peine trente ans à eux deux le jour de leur mariage le 25 juillet 1137 –, leur incompétence, les caprices d’Aliénor et l’immaturité de Louis. Elle a « joué » à la reine, aussi bien à la reine de cour entourée de troubadours – une petite révolution dans l’ambiance austère du Palais de la Cité à Paris – qu’à la femme politique. Sous son influence, Louis a délaissé les anciens conseillers de son père et en particulier Suger, l’abbé de Saint-Denis, un des plus sages et des plus fidèles soutiens de sa couronne. Il s’est lancé dans des guerres qui auraient pu être catastrophiques pour l’avenir du royaume. Jamais il n’oubliera l’été 1143 et cette campagne militaire contre le comte de Champagne qu’il a lancée en grande partie parce qu’Aliénor soutenait sa jeune sœur, Pétronille, tombée follement amoureuse d’un homme ayant l’âge d’être son père, le sénéchal Raoul de Vermandois. Pétronille avait épousé le sénéchal. Le fait en soi ne motivait pas une expédition militaire, mais Raoul était déjà marié à la nièce du comte de Champagne ; afin que le mariage se fasse on trouva quelques prélats qui annulèrent le premier mariage. Furieux, Thibaud de Champagne en appela au pape, lequel excommunia les nouveaux époux et les prélats complices. Les choses s’étaient envenimées, d’où l’expédition de l’été 1143 au cours de laquelle Louis VII, à la tête de son armée, avait attaqué la ville de Vitry-en-Perthois. Les combats avaient été très violents, les troupes du roi avaient pénétré dans la ville jusqu’au cœur de la cité, le feu avait pris à quelques maisons, la population apeurée s’était réfugiée dans l’église tandis que le feu avait gagné le bâtiment, qui s’était embrasé. Louis VII, qui observait la scène hors de la ville, avait vu le toit en flammes s’effondrer, dans un bruit terrifiant, sur les mille cinq cents personnes rassemblées dans l’édifice. Il en était resté tétanisé. Régine Pernoud, dans sa biographie d’Aliénor d’Aquitaine {1} , raconte : « Quand les familiers de Louis, inquiets de son immobilité, s’approchèrent, ils s’aperçurent qu’il était blanc et hagard et qu’il claquait des dents ; on l’emmena, on l’étendit sous sa tente. Quand il ouvrit la bouche, ce fut pour demander qu’on le laissât seul. Pendant plusieurs jours, le roi demeura ainsi, refusant de s’alimenter et de parler à qui que ce soit, prostré, immobile sur sa couche. » Jamais Louis VII, homme profondément pieux et pacifique, n’oubliera cette scène effroyable.
Face à Eugène III, l’image lui en est sûrement revenue à l’esprit, le ramenant à sa propre culpabilité mais aussi à la responsabilité d’Aliénor. Cela également il ne l’avait jamais oublié, même si, grâce à l’intervention de l’abbé Suger et de Bernard de Clairvaux – le futur saint Bernard –, les choses étaient progressivement rentrées dans l’ordre. Louis avait ensuite peu à peu éloigné Aliénor du pouvoir, tout en demeurant passionnément épris d’elle et bien qu’elle restât la puissante suzeraine du duché d’Aquitaine et du comté de Poitou, territoire si vaste et si riche par rapport à la petite Île-de-France du roi.
Ensuite il y avait eu l’expédition en Terre sainte. Aliénor avait voulu accompagner Louis qui avait accepté. Il avait certes besoin des vassaux d’Aliénor mais il faut bien avouer aussi qu’il n’imaginait pas la laisser seule à Paris. À son exemple, bon nombre de barons avaient emmené leurs femmes. L’ost s’en était trouvé ralenti par un nombre incroyable de chariots transportant valets, chambrières, vêtements, bijoux, ustensiles divers… Dès le départ, on avait accusé Aliénor de transformer cette sainte entreprise en voyage d’agrément ; le
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