Apocalypse
se réfugier chez une voisine tandis que la Gestapo emmenait ses parents. Quant au dessin de Poussin, qui faisait partie des collections du père, nul ne l’avait plus revu.
— Vous connaissez l’origine du dessin ?
Le marchand caressa sa barbe taillée en pointe avant de répondre d’une voix soyeuse :
— Mais, comme vous, voyons !
L’homme à la casquette resta songeur.
— Une œuvre disparue pendant la guerre et qui a appartenu à des Juifs, en plus…
Della Rocca lui jeta un regard inquiet.
— Je vous en prie, pas de fausse sentimentalité entre nous. Si vous comptez que je baisse le prix…
— Non, mais depuis un an, une photo de ce dessin est consultable sur le site Internet dédié aux œuvres d’art qui ont disparu pendant l’Occupation.
— Et ça vous préoccupe vraiment ?
Le pseudo-Valmont sourit. Il ne fallait pas qu’il inquiète trop son interlocuteur.
— À part le fait qu’il y a le nom d’un propriétaire…
D’un revers de main, le marchand balaya l’objection :
— J’ai vérifié. Une vieille dame qui habite à Jérusalem. Et en plus elle n’a pas d’héritier. Vous voulez que ce chef-d’œuvre finisse dans un musée en Israël ?
Lentement, « Valmont » posa une de ses mains sur le dessin et fit glisser l’autre vers la poche intérieure de sa veste.
— Vous ne tenez pas plutôt à ce que cette merveille soit le joyau secret de votre collection ? renchérit Della Rocca.
— Je n’ai pas de collection, répliqua l’homme.
Le visage du marchand pâlit. Il allait parler, mais son interlocuteur le coupa.
— Et je n’aime pas Poussin.
— Vous plaisantez ?
— Du tout.
Il semblait loin, perdu dans un songe. Un songe qui avait le visage d’une très vieille dame au fond d’une maison de retraite, à Jérusalem.
Il reprit :
— Moi, ce que j’aime, ce sont les petites filles qui retrouvent leurs souvenirs d’enfance.
— Mais je ne comprends pas, vous êtes bien monsieur Valmont…
— Non plus.
Della Rocca se dressa d’un coup.
— Vous êtes qui ? eut-il la force de chuchoter au moment où la carte de flic atterrit sur le bureau.
La main tremblante, le marchand saisit le rectangle barré des trois couleurs et lut :
Marcas Antoine, commandant de police…
2
Bethléem
An 2
Le village de Bethléem avait sombré dans la nuit. Seuls les chiens, à la recherche de détritus, erraient encore dans les ruelles obscures. La lune était dans son dernier quartier, faible et lointaine. Au pied du village, dissimulé dans une plantation d’oliviers, Antifax attendait qu’un banc de nuages vienne masquer les dernières lueurs. Le mercenaire grec vérifiait son équipement, ses jambières de bronze, sa cuirasse éraflée, son glaive court, quand un soldat essoufflé surgit et se posta devant lui.
— Le village est totalement cerné. Les hommes n’attendent plus que votre signal.
Antifax rengaina son glaive après en avoir vérifié le tranchant. Le soldat, les cheveux clairs en broussaille, portait un bouclier rond orné d’une rune noire.
— D’où viens-tu ? l’interrogea le Grec.
— Des terres du Nord.
Antifax hocha la tête. La garde du roi Hérode, qui régnait en Judée, était une mosaïque improbable de mercenaires venus des quatre coins du monde : Thraces, Ibères, Celtes, Germains, Nubiens… Des hommes sans foi ni loi qui n’obéissaient qu’à un dieu : l’or ! Surtout quand il était trempé dans le sang.
— Fais passer mes ordres ! Que toute la population soit rassemblée sur la place centrale. Qu’on isole les hommes par petits groupes et qu’on les enferme dans les caves.
— Et pour quel motif ?
— Un motif ? s’étonna Antifax, stupéfait, tu ne veux pas qu’on leur demande leur avis aussi ?
— Si on leur donne une bonne raison, ils seront plus faciles à séparer de leur famille.
Le mercenaire grec réfléchit.
— Dis-leur qu’on cherche un voleur qui a été blessé à la poitrine. Les hommes ne voudront pas se dévêtir devant les femmes. Ils demanderont eux-mêmes à s’écarter.
— Et ensuite ?
— Qu’on sépare les femmes des enfants. Et ne me dis pas qu’il faut un motif ! Maintenant fais passer le mot d’ordre.
Le soldat aux cheveux clairs s’inclina et disparut dans la nuit.
Jérusalem
La veille
L’Égyptien vérifia les relevés et mesura les cotes. Encore. Pour être sûr. Il posa la main sur sa barbe tressée, en
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