Apocalypse
du Québec.
Merde ! Ils avaient pensé à tout, mais pas à ça. Il fallait inventer.
— J’ai fait mes études en France. Les Jésuites. Ils ne plaisantaient pas avec la prononciation de la langue française.
À l’autre bout du fil, la voix se fit plus apaisée.
— Ceci explique cela. Les Jésuites… Mais nous ne sommes pas là pour évoquer des souvenirs. La proposition qui vous a été faite vous convient toujours ?
— Oui. Si je peux voir l’œuvre en question, bien sûr.
— Quittez le café et marchez vers la station de métro. Et pas d’initiatives malencontreuses, un de mes amis vous surveille.
« Valmont » balaya la place du regard : une jeune femme aux talons de métal se dirigeait vers la Comédie-Française, un fan de Bob Marley se traînait en vélib’. De toute façon, il devait suivre les instructions.
Il régla ses consommations et se leva de son siège. Il se sentait complètement ridicule avec sa casquette.
— Vous y êtes ?
— Oui, j’arrive juste…
— Ne vous perdez pas en commentaires ! Regardez sur votre gauche, l’affiche sur la façade.
— Biennale des objets d’art, Carré des antiquaires du Louvre…
— C’est ça ! Entrez à l’intérieur de l’immeuble. Montez à l’étage et promenez-vous.
— Attendez, je ne comprends pas…
Un clic brusque fut la seule réponse.
Le Carré du Louvre déployait ses fastes sur trois niveaux. Le long des galeries, les vitrines regorgeaient d’œuvres d’art qui donnaient le vertige aux touristes ébahis. Comme le disait un ami de « Valmont » qui avait hanté tous les étages et dilapidé une fortune en collections : « C’est comme au musée d’en face, sauf qu’ici on peut tout acheter. » À condition, bien sûr, d’en avoir les moyens. Dans chaque boutique spécialisée, les passionnés pouvaient se ruiner pour acquérir une commode signée Boulle, un manuscrit médiéval richement enluminé ou un buste d’Alexandre le Grand qui avait traversé les millénaires.
Engoncé dans un pardessus dont les manches remontaient un peu trop haut, la casquette enfoncée sur le front, « Valmont », immobile devant une vitrine d’armes anciennes, surveillait son reflet.
— Vous vous intéressez aux épées de collection ? l’interrogea une voix dans son dos, non, ne vous retournez pas ! Prenez à droite et longez la galerie. Quand vous verrez un tableau de Venise en devanture, poussez la porte.
La boutique Della Rocca sentait le vieux bois, celui des cadres écaillés. Le long des trois murs, des tableaux anciens se succédaient dans un désordre étudié. Des pietà de la Renaissance aux tableaux jaunes chromés des impressionnistes, l’amateur éclairé avait le choix. Une fortune, impossible à chiffrer, reposait là, suspendue à une poignée de clous.
— Vous avez apprécié mon Turner, en vitrine ?
— La place Saint-Marc ?
« Valmont » se retourna et vit un homme à la fine barbe blanche, installé dans un fauteuil Empire dont il massait avec lenteur les accoudoirs.
— Un pur bonheur de peinture ! Vous savez depuis combien de temps un Turner de cette qualité n’est pas apparu sur le marché ? Des décennies ! C’est vous dire si cette pièce est unique ! Si ce n’était que moi, je ne la vendrais pas. Mais je cause, et nous avons une affaire à traiter, je crois.
— Oui, monsieur Della Rocca, et je suis venu pour une pièce unique, moi aussi.
— Et quelle pièce ! Un chef-d’œuvre, une rareté absolue…
— Je n’en doute pas et j’en douterai encore moins quand je l’aurai vue.
— Bien sûr ! Approchez-vous !
Et le dessin apparut.
Il avait vu des photos, des clichés noir et blanc pris dans les années 1930 par un assureur qui ne s’était guère préoccupé de la qualité esthétique de ses prises de vue. Ce qu’il avait sous les yeux était autrement plus émouvant. Crayonné à la hâte, comme si le modèle allait subitement disparaître, des traits rapides de fusain dessinaient un tableau surprenant. Face à un tombeau qui semblait en ruine, deux hommes, drapés dans des toges, examinaient une inscription presque effacée.
— Eh oui ! Les Bergers d’Arcadie , de Poussin. Le dessin original.
Il marqua le coup. Cette œuvre avait disparu depuis plus de soixante ans. Il n’en restait que des photos fanées et un nom, celui de Martha Weiss. Une petite fille qui avait eu huit ans en 1942 et la présence d’esprit de
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