Au Coeur Du Troisième Reich
Joseph Brix, professeur d’urbanisme, forma le groupe. J’étais prévu comme urbaniste et architecte et devais en plus enseigner l’architecture à un institut technique qui devait être fondé à Kaboul. Ma femme et moi, nous nous plongeâmes dans tous les livres que l’on pouvait trouver sur ce pays. Nous examinions comment on pourrait, à partir de constructions simples, développer un style national. La vue de montagnes inviolées nous faisait dresser des plans d’excursions à ski. Les clauses du contrat étaient très avantageuses. Tout était déjà prêt, le roi venait d’être reçu par Hindenburg, avec tous les honneurs qui lui étaient dus, lorsque les Afghans le renversèrent par un coup d’État.
Mais la perspective de continuer à travailler avec Tessenow me dédommagea. De toute façon, je n’étais pas très au clair avec moi-même et j’étais heureux que la chute d’Aman Allah me délivrât de la nécessité de faire un choix. Le séminaire ne me demandait que trois jours de travail par semaine. En outre, j’avais cinq mois de vacances. Et je touchais 300 RM, ce qui doit faire à peu près 800 DM actuels. Tessenow ne faisait pas de cours magistraux, mais corrigeait dans la grande salle du séminaire les travaux de ses quelque cinquante étudiants. Il ne venait que quatre ou six heures par semaine, le reste du temps, les étudiants devaient s’adresser à moi.
Ce fut très dur, surtout les premiers mois. Les étudiants étaient très critiques, essayant de découvrir chez moi des ignorances ou des points faibles. Mais, peu à peu, je pris de l’assurance. Les commandes que j’espérais pouvoir mener à bien au cours de mes nombreux loisirs ne vinrent pas. Je faisais vraisemblablement trop jeune et, d’autre part, la construction stagnait par suite de la récession économique. La commande que me firent mes beaux-parents pour leur maison de Heidelberg resta une exception. Je fis quelque chose d’excessivement simple. Suivirent des commandes insignifiantes : deux garages ajoutés à des villas du Wannsee et, à Berlin, le foyer de l’ « Office des échanges universitaires ».
En 1930, avec nos deux canots pliants, nous descendîmes le Danube de Donaueschingen jusqu’à Vienne. Alors que nous étions sur le chemin du retour, des élections au Reichstag eurent lieu le 14 septembre. Je ne les ai conservées en mémoire que parce que leur résultat mit mon père en fureur. Le N.S.D.A.P. avait obtenu 107 mandats, faisant ainsi brutalement l’objet de toutes les discussions politiques. Ce succès électoral inattendu fit naître chez mon père, déjà inquiet de la force des sociaux-démocrates et des communistes, des craintes fondées surtout sur l’existence de tendances socialistes au sein du N.S.D.A.P.
Entre-temps notre école était devenue un terrain propice aux idées nationales-socialistes. Tandis que le petit groupe d’étudiants communistes était attiré par le séminaire du professeur Poelzig, les nationaux-socialistes se regroupaient chez Tessenow, bien que ce dernier ait été un ennemi déclaré du mouvement hitlérien et le soit resté. Pourtant, il existait des analogies latentes et involontaires entre ses théories et l’idéologie nationale-socialiste. Tessenow n’était certainement pas conscient de l’existence de ces analogies. Il ne fait pas de doute que l’idée d’une parenté entre ses conceptions et celles des nationaux-socialistes l’aurait rempli d’effroi.
Une des théories de Tessenow était que « tout style émane du peuple. Il est naturel, disait-il, d’aimer sa patrie. L’internationalisme ne peut produire aucune culture véritable. Celle-ci ne peut naître que dans le giron d’un peuple 1 ». Or, Hitler lui aussi rejetait l’internationalisation de l’art. Pour lui et ses adeptes, c’était dans le sol natal qu’était la racine de toute rénovation. Tessenow condamnait la grande ville et lui opposait des notions paysannes. « La grande ville, disait-il, est une chose épouvantable. La grande ville est un fatras de vieux et de neuf. La grande ville est un combat, un combat brutal. Toute bonhomie en est exclue… Au contact de la ville, le monde paysan disparaît. Dommage qu’on ne puisse plus penser paysan. » Hitler n’employait pas d’autres termes pour dénoncer la décadence des mœurs dans les grandes villes, pour mettre en garde contre les ravages de la civilisation qui menacent la substance biologique
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