Au Coeur Du Troisième Reich
Préface
Toute autobiographie est une entreprise problématique, car elle suppose nécessairement qu’il existe une chaise sur laquelle on peut s’asseoir pour contempler sa propre existence, en comparer les différentes phases, en embrasser et en pénétrer l’évolution. Sans doute l’homme peut-il et doit-il se voir. Mais son regard ne peut embrasser tout son être, même à chacun des moments de son existence présente, non plus qu’appréhender son passé dans sa totalité.
K arl B arth
« Maintenant vous allez sans doute écrire vos mémoires ? » me demanda l’un des premiers Américains que je rencontrai à Flensburg en mai 1945. Depuis, vingt-quatre années se sont écoulées, dont vingt et une passées dans la solitude d’une prison. Cela fait beaucoup.
Maintenant je livre mes souvenirs au public. Je me suis efforcé de décrire le passé comme je l’ai vécu. A certains, il apparaîtra déformé, d’autres trouveront que ma perspective est fausse. Qu’ils aient tort ou raison, en tout cas je décris ce que j’ai vécu comme je le vois aujourd’hui. Je me suis efforcé de ne pas me dérober dans cette confrontation avec le passé. Je n’ai eu l’intention de me soustraire ni à la fascination de ces années-là ni à la terreur qu’elles inspirent. Certains de ceux qui ont été impliqués dans les événements d’alors me critiqueront, mais cela est inévitable. J’ai voulu être sincère.
Ces mémoires devraient mettre en lumière quelques-unes des conditions qui menèrent presque inéluctablement cette époque à la catastrophe ; ils devraient montrer quelles furent les conséquences de la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme ; ils devraient aussi montrer quelle était la nature de cet homme. Au tribunal, à Nuremberg, j’ai déclaré que j’aurais été l’ami de Hitler, si Hitler avait eu des amis. Je lui dois aussi bien les enthousiasmes et la gloire de ma jeunesse que la culpabilité et l’effroi des années qui suivirent.
Dans le portrait que j’ai brossé de Hitler, tel que moi-même et d’autres l’avons connu, on découvrira plus d’un trait sympathique. L’impression pourra aussi se dégager que cet homme, sur bien des plans, était qualifié et dévoué. Mais plus j’avançais dans la rédaction de ce livre, plus je sentais qu’il ne s’agissait là que de qualités superficielles.
A de telles impressions s’oppose en effet un souvenir indélébile : le procès de Nuremberg. Je n’oublierai jamais ce document qui montrait une famille juive allant à la mort, l’homme, la femme et leurs enfants sur le chemin de la mort. Cette image, je la vois encore aujourd’hui.
A Nuremberg j’ai été condamné à vingt ans de prison. La sentence du tribunal militaire, si impuissante qu’elle fût à sanctionner l’histoire, a tenté de définir une faute. La peine prononcée, toujours peu apte à mesurer une responsabilité historique, a mis fin à ma vie de citoyen. Cette image, elle, a ôté toute substance à ma vie même. Elle se perpétue, par-delà le jugement.
11 janvier 1969
A lbert S peer
Première partie
1.
Mes origines et ma jeunesse
Parmi mes ancêtres on trouve aussi bien des Souabes et des paysans pauvres du massif du Westerwald que des Silésiens et des Westphaliens. Mais ils appartenaient tous à la grande masse de ceux qui vivent au jour le jour. Il n’y eut qu’une seule exception : le maréchal d’Empire 1 comte Friedrich Ferdinand zu Pappenheim (1702-1793), qui vécut en concubinage avec mon aïeule Humelin et en eut huit fils dont il ne semble pas s’être soucié outre mesure.
Trois générations plus tard, mon grand-père Hermann Hommel, fils d’un pauvre forestier de la Forêt-Noire, était, à la fin de sa vie, l’unique propriétaire d’une des plus grosses maisons de commerce d’Allemagne pour les machines-outils et d’une fabrique d’instruments de précision. Mais malgré sa richesse, il vivait modestement et traitait ceux qui étaient sous ses ordres avec bonté. Il n’était pas seulement industrieux mais possédait l’art de faire travailler pour lui d’autres travailleurs indépendants. C’était un vrai fils de la Forêt-Noire, qui aimait la méditation et pouvait rester des heures entières assis sur un banc dans la forêt, sans dire un mot.
Mon autre grand-père, Berthold Speer, était, à peu près à la même époque, devenu un architecte connu à Dortmund où
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