Belle Catherine
guerrier au visage osseux et rusé dont l'armure cabossée et la prétentieuse dalmatique de soie qui la recouvrait ne parvenaient pas à dissimuler l'effrayante maigreur. La peau tannée couvrait seulement la carcasse du visage qui avait l'aspect terrifiant d'une tête de mort. L'homme était si affreux que Catherine ferma les yeux un instant. Les plumes vertes dansant au cimier du nouveau venu ajoutaient encore à son côté spectral. L'abbé qui se tenait à ses côtés, si pâle sous les broderies d'or de la mitre, osait à peine tourner les yeux vers lui.
Avant qu'il parlât, Catherine avait compris que c'était là l'incendiaire de Montsalvy, le lieutenant du Castillan, le routier Valette. Il laissa peser un regard méchant sur les pauvres gens qui, instinctivement, se serraient les uns contre les autres, puis éclata d'un rire grinçant.
— Bande de lièvres peureux ! cria-t-il. Est-ce ainsi que vous entendez enterrer messire Carnaval ? Allons, il faut rire, et chanter... C'est le premier jour du Carême et vous allez pouvoir faire convenablement pénitence, mais, aujourd'hui, j'entends qu'on soit gai ! Que l'on chante ! C'est un ordre !
Les cloches s'étaient tues, un écrasant silence s'abattit sur la place. Le vent qui se levait faisait voltiger les cheveux de toutes ces têtes courbées, obstinées dans leur mutisme. Quelque part, un volet claqua... La voix usée de l'abbé parvint à Catherine comme du fond des âges.
— Mes enfants, commença-t-il doucement...
Mais, grossièrement, Valette coupa :
— La paix, l'abbé ! Vous n'avez pas la parole ! Alors, vous autres, vous avez entendu ? J'ai dit : chantez !... C'est une belle chanson que l'on chante pour enterrer messire Carnaval, n'est-ce pas ? « Adieu, pauvre Carnaval... » et qu'on y mette du cœur, je veux entendre tout le monde !
L'homme enchaîné s'était laissé tomber à terre, pleurant convulsivement. Autour de lui et sur les murs du couvent, les routiers de Valette bandaient leurs arcs, visant la foule terrifiée... Le cœur de Catherine manqua un battement. Une impuissante fureur montait en elle, contre cette brute et aussi contre Arnaud qui n'apparaissait pas. Où était-il ? Que lui était-il arrivé ? Vingt-cinq hommes ne s'évanouissent pas ainsi dans le brouillard...
Le gémissement de terreur qui s'était levé autour d'elle, orchestré par la plainte du vent, se muait peu à peu en un chant hésitant, grelottant et à peine audible, sorti de gorges contractées par la peur.
— Plus fort ! hurla Valette, sinon, je vous jure que vous allez vous taire définitivement !
Une flèche siffla, tirée en l'air, mais l'avertissement porta. Les voix se firent plus fortes. Une vague de fureur et de rage emporta Catherine. Elle allait se jeter, toutes griffes dehors, sur le féroce chef de bande, sans même réfléchir aux conséquences, parce qu'elle ne savait pas résister aux impulsions de sa nature généreuse, quand une main râpeuse saisit la sienne sous les plis de son manteau.
— Par pitié, dame Catherine, ne bougez ! Vous allez déclencher une catastrophe...
Le vieux Saturnin se tenait auprès d'elle, ses cheveux gris rabattus dans sa figure, la tête bien droite. Il ouvrait beaucoup la bouche en parlant pour qu'on crût qu'il chantait.
— Que faites-vous là ? souffla-t-elle. Où est mon époux ?
— Ailleurs ! Il attend son heure ! C'est à vous, gracieuse dame, qu'il faudrait bien plutôt demander ce que vous faites là... Quand messire Arnaud saura...
Les voix des autres, chantant sur le mode lugubre le joyeux chant carnavalesque, couvraient leurs paroles. Devant l'église, ses dents pourries découvertes par un sourire mauvais, Valette battait la mesure avec son épée. Ses hommes relevaient durement le malheureux Carnaval et l'obligeaient à se mettre en marche en tirant cruellement sur ses chaînes.
— Qui est cet homme ? murmura Catherine. Qu'a- t-il fait ?
— Rien ! Ou si peu ! C'est Étienne-la-Cabrette, notre rebouteux... un brave homme, un peu simple, et qu'on disait aussi un peu sorcier parce qu'il connaît les plantes. Son grand bonheur, c'était de souffler dans sa cabrette1, les nuits de pleine lune... Valette l'a pris pour qu'il guérisse l'un de ses hommes d'une vilaine blessure. L'homme est mort. Alors le martyre du pauvre Etienne a commencé. C'était le jour où le château...
Saturnin s'arrêta, glissant un regard rapide vers Catherine, mais elle ne broncha pas.
— Continuez ! dit-elle
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