Belle Catherine
de laine dont elle s'était enveloppée.
— Que fais-tu, Catherine ? dit Arnaud du fond du lit. Pourquoi ne viens-tu pas ?
Elle ne répondit pas tout de suite. Son esprit comme son regard étaient hypnotisés par le fayard aux pendus. Elle était si lasse de ces horreurs qui, continuellement, se levaient sur ses pas ! Du sang ! Toujours du sang ! La sauvagerie des hommes effaçait tout, jusqu'à la pure beauté de la nature. Pourquoi avait-il fallu qu'en arrivant dans ce lieu, où elle avait espéré trouver paix et bonheur, elle tombât d'abord sur ce rappel brutal de leur temps sans pitié ? Comment rêver d'amour et de vie paisible à l'ombre d'un gibet ?
— Ces pendus, dit-elle enfin, ne pourrait-on...
Entre les rideaux à ramages du lit, la tête d'Arnaud
surgit, puis son corps brun, aussi nu que la main, car il n'était pas d'usage de porter quoi que ce fût pour dormir. Avec décision, il marcha vers sa femme, l'enleva de terre et revint s'abattre avec elle sous les rideaux du lit.
— J'ai dit : viens, dame Catherine, et tu me dois obéissance ! Cesse de te tourmenter pour ces gens. Je les ferai mettre en terre demain pour te faire plaisir encore qu'ils n'en vaillent guère la peine : un petit cadeau de l'évêque de Saint-Flour, quelques-uns de ces tuchins 1 dont il continue pieusement l'élevage
1 Le tuchinat avait été, cinquante ans plus tôt, une terrible révolte paysanne, née de la misère affreuse qui dévastait le pays. Le nom venait de tue-chiens, parce que les rebelles tuaient jusqu'aux chiens pour les dévorer. L'évêque de Saint-Flour avait donné asile aux tuchins qui avaient tout un quartier de la ville. Sous forme larvée, le tuchinat subsista de longues années en Auvergne.
dans un bas quartier de sa ville. De temps en temps, il en lâche une bande sur un château ou une cité qu'il convoite. Cela réussit rarement. On en prend toujours quelques-uns, on les branche et tout est dit jusqu'à la fois suivante. Heureusement, ces gens ne sont plus ce qu'ils étaient au temps de la grande révolte, encore qu'ils sachent faire bien du mal...
Il se tut brusquement. Tout en parlant, il avait déshabillé Catherine et dénoué ses cheveux que, par jeu, il enroulait autour de son propre cou. Il faisait presque noir, derrière ce rempart de rideaux, et, d'un geste impatient, il écarta un peu d'étoffe avant d'enfoncer ses mains dans l'épaisse chevelure qui brillait doucement avec des reflets chauds. Il emprisonna étroitement la tête de Catherine, l'approcha de son visage.
— Je veux voir tes yeux, dit-il tendrement, ils pâlissent dans l'amour... ils deviennent alors presque clairs.
— Écoute, murmura Catherine, je voudrais te dire...
— Chut ! Oublie tout cela ! N'y pense plus... Je t'aime ! Il n'y a plus rien que nous deux, toi et moi... Nous sommes seuls au milieu d'un monde vide. Bernard a raison quand il dit que tu es le plus précieux des trésors et, pourtant, il ne connaît de ta beauté que ton visage, il ne sait rien des délices de ton corps. Je t'aime, Catherine, je t'aime à en mourir.
Des larmes qu'elle ne put retenir perlèrent aux cils de la jeune femme.
— Mourir ? C'est moi qui suis condamnée à mourir. Marie m'a dit que je ne sortirai pas vivante d'ici, qu'elle me tuerait...
Elle sentit les mains d'Arnaud se crisper sur sa tête, elle vit se froncer ses sourcils, mais, brusquement, il éclata de rire.
— Je me demande laquelle de vous deux est la plus folle, de cette malheureuse qui dirait n'importe quoi pour t'empoisonner la vie, ou de toi qui crois comme parole d'Évangile tout ce qu'elle dit. Marie me connaît trop bien pour rien tenter contre toi.
— Pourtant, si tu l'avais entendue...
— Allons, Catherine, cesse de déraisonner ! (La voix d'Arnaud s'était faite dure, mais ses bras se nouaient autour de la taille de la jeune femme.) Je t'ai déjà dit d'oublier tout cela ! Il n'y a qu'une réalité au monde, toi et moi, nous deux, tu entends, rien que nous deux...
Catherine ne répondit pas. Tous les deux ? À côté, Isabelle dormait auprès du berceau de Michel. Sara partageait aussi cette chambre car elle refusait d'abandonner l'enfant à la grand-mère et défendait ses prérogatives de berceuse avec bec et ongles. Elle comprenait qu'Isabelle ferait tout pour détacher l'enfant de sa mère et entendait bien se mettre en travers.
Dans l'autre chambre, il y avait Marie, et Catherine songeait amèrement que, dans l'une comme dans l'autre
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