Belle Catherine
Catherine en se dressant sur son séant.
— Il est l'heure de nourrir ton fils ! Il a très faim.
Catherine tendit les bras pour recevoir l'enfant avec
ce profond sentiment d'amour et de plénitude que lui donnait ce moment où elle le nourrissait. La petite tête blonde se nicha contre elle et les petits doigts vinrent s'appuyer, bien écartés, sur la rondeur ferme du sein qu'on lui offrait. Michel se mit à téter avec ardeur. Catherine éclata de rire.
— Mais il dévore, ma parole ! Regarde, Sara... Est-il-gourmand !
De l'enfant, sa pensée glissa au père et elle demanda à Sara où était Arnaud.
— Dehors. Le comte Bernard s'apprête à partir. Quand le petit aura fini, il faudra te dépêcher.
Assise dans son lit, Catherine suivait Sara des yeux, s'étonnant de n'avoir pas encore remarqué ce bizarre ; affaissement des épaules. Sara se voûtait ? A cinquante ans à peine ? Et ce cerne violet autour des paupières ? De la fatigue, peut-être ? Sara se dépensait continuellement pour Michel, pour Catherine. Pour le moment, elle ouvrait un coffre de cuir, en tirait des vêtements divers et d'abord une dalmatique de velours violet doublée de satin gris.
— Le comte Bernard a laissé plusieurs coffres.]1 Dans ces robes et ces manteaux d'homme, je pourrai te tailler quelques vêtements. Tu n'as pas grand-chose à te mettre.
— Les robes de Bruges et de Dijon sont loin, n'est-ce pas ? fit Catherine avec un mince sourire, et les parfums, et les bijoux...
— Tu ne regrettes rien ? Vraiment rien ?
Le sourire ébloui de Catherine alla de la tête duveteuse du petit garçon à l'ogive bleue de la fenêtre au- delà de laquelle on entendait la voix d'Arnaud criant des ordres.
— Que veux-tu que je regrette ? J'ai tout puisque je les ai tous les deux. C'est tellement plus important qu'un palais, des robes de brocart et des diamants. Tu sais...
La phrase demeura en suspens. Sara, d'un geste rageur, s'essuyait les yeux à sa manche. Les prunelles de Catherine s'agrandirent de stupeur.
— Tu pleures ?
— Mais non... je ne pleure pas, fit Sara avec impatience. Il y a de la poussière dans ces vêtements.
— Il y en a aussi dans ta voix... Tiens, il a fini ! Prends-le, je me lève ! fit-elle en remettant Michel aux bras de la bohémienne.
Tout en se passant la figure et les mains à l'eau, en enfilant ses vêtements, en nattant ses cheveux, Catherine observait Sara. La poussière ? Certainement pas... Elle pleurait, ou plutôt, elle avait pleuré et il en restait quelque chose. Mais il était aussi certain qu'elle ne voulait pas dire pourquoi. Au-dehors, le tintamarre d'une troupe nombreuse prête à s'ébranler se faisait entendre : cliquetis d'armes, sabots des chevaux grattant la terre, roulement des chariots à bagages, ordres brefs hurlés à pleine voix, cris d'appel et rires. En s'approchant de la fenêtre, Catherine vit que les tentes de soie avaient été démontées et rangées dans les chars. Elle vit aussi qu'Arnaud avait tenu parole : les branches du vieux fayard ne portaient plus aucun fruit suspect. La cour était pleine d'hommes d'armes qui attendaient calmement, l'arme au pied, que l'on partît.
Les cavaliers étaient déjà à cheval...
Comme Catherine se penchait au rebord de pierre pour mieux respirer l'air vif du matin, pour sentir la caresse de ce soleil encore timide qui mettait une douceur sur la campagne, Arnaud et Bernard sortaient de la chapelle. Les deux hommes étaient tout armés, à l'exception des heaumes qu'ils portaient sous le bras. Ils se dirigèrent vers leurs destriers que les écuyers tenaient par la bride, se hissèrent en selle. Arnaud, sans doute, voulait accompagner son ami un bout de chemin. Cadet Bernard allait enfoncer son casque sur sa tête quand il aperçut Catherine à sa fenêtre et dirigea son cheval vers elle.
— Je ne voulais pas que l'on trouble votre sommeil, Catherine, cria-t-il, mais je suis heureux de vous revoir avant de partir. Ne m'oubliez pas tout à fait ! Je ferai tout pour que votre grâce revienne éclairer bientôt la cour de Charles VII.
— Je ne vous oublierai pas, Messire ! Et je prierai pour le succès de vos armes.
Sous ses caparaçons rouge et argent, le destrier dansait avec des grâces de demoiselle. Cadet Bernard s'inclina profondément sur sa selle, son regard souriant attaché à Catherine qui, de sa fenêtre, lui adressait une révérence. Puis le cheval volta et, au petit trot, Bernard d'Armagnac s'en alla
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