Belle Catherine
Elle s'aperçut que Catherine de Rais lui souriait et elle lui rendit, franchement, son sourire. Tout compte fait, cette jeune femme lui était très sympathique, infiniment plus que le vieil homme qui les observait. Celui-là avait assez la mine de sa réputation : un vieux rapace. Grand, droit, sec comme un vieil arbre en son hiver, ce qu'il avait de plus caractéristique, outre ses autoritaires yeux noirs, c'était le nez busqué, trop grand pour son visage maigre et qui semblait en absorber tout l'espace. Ses lèvres minces, rasées, avaient un pli sarcastique et son regard s'abritait sous les profondes cavernes de ses orbites au bord desquelles croissait un poil sec et gris. Et Catherine n'avait nul besoin de se rappeler les objurgations de frère Thomas ou de Mathilde Boucher pour sentir instinctivement qu'en face de Jean de Craon la méfiance devait être de règle.
Cependant, la voix douce de la dame de Rais s'élevait, proposant de mener Catherine à sa chambre.
— Faites, ma fille, faites, répondit Craon qui ajouta, en se tournant vers Catherine : Ma femme chasse. C'est un exercice que je peux seulement lui envier et que m'interdit cette jambe raide.
Avant de quitter la salle, Catherine posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres.
— Monseigneur Gilles m'avait laissé entendre que je trouverais ici la reine Yolande dont je suis dame de parage. N'y est-elle plus ?
Il parut à la jeune femme que Catherine de Rais avait rougi et détournait les yeux, mais, déjà, le vieux seigneur répondait.
— La Reine nous a quittés voici quelques jours. Les négociations qu'elle menait ici avec le duc de Bretagne se sont heureusement terminées puisque, à cette heure, Madame Yolande se trouve à Amboise où elle prépare les fêtes du mariage de sa plus jeune fille avec l'héritier de Bretagne.
— Dans ce cas, fit Catherine, il est inutile que je vous impose ma présence plus longtemps qu'une nuit, Seigneur. Dès demain, je repartirai pour rejoindre ma reine.
Un bref éclair traversa le regard de Craon, mais ses lèvres sèches s'entrouvrirent en un sourire presque aimable.
— Quelle hâte ! Votre présence réjouirait ma petite-fille qui se sent bien seule ici, en l'absence de son époux ! Ne nous ferez-vous pas la faveur d'un séjour de quelques jours ?
Indécise, Catherine hésita. Il était difficile de refuser sans grossièreté. Or, pour rien au monde, elle n'eût voulu offenser le maréchal de Rais dont la sauvegarde d'Arnaud dépendait. Elle esquissa une révérence.
— Grand merci de votre accueil et de votre invitation, Seigneur. Je m'attarderai donc, et très volontiers, quelques jours en votre compagnie.
Au sortir de l'éblouissante pièce, Catherine eut l'impression de plonger dans un tunnel obscur. Pourtant, le bel escalier à vis, pris dans l'épaisseur du mur, qui montait à l'étage supérieur, était peint à fresque représentant des scènes de l'Exode et éclairé de loin en loin par des bouquets de trois torches prises dans des griffes de bronze armorié. Mais ses yeux étaient las de tant de dorures. Devant elle, sur les marches de pierre, usées en leur milieu par des centaines de pas, la traîne de velours gris pâle de la dame de Rais ondulait doucement en se cassant aux angles vifs de la pierre. Intimidée sans doute, la jeune femme ne soufflait mot. Elle montait lentement, son long cou blanc incliné, relevant à deux mains sa lourde jupe, et Catherine, prise d'une subite gêne, n'osait pas lui adresser la parole. L'une derrière l'autre, elles montèrent à l'étage supérieur où s'ouvrait une galerie. La châtelaine s'y engagea, poussa une porte basse profondément enfoncée sous l'arc d'une porte, s'effaça contre le chambranle.
— Voici votre chambre, dit-elle. Votre servante vous y attend déjà.
La lumière douce d'un bouquet de chandelles rouges posées dans un haut candélabre de fer coula jusqu'au milieu de la galerie. Mais, avant de franchir cette porte qu'on lui ouvrait, Catherine s'arrêta devant son hôtesse.
— Pardonnez ma curiosité, dame Catherine, dit- elle doucement, mais pourquoi êtes-vous si triste ? Vous êtes jeune, belle, riche, noble, votre époux est séduisant et glorieux et...
La femme de Gilles releva brusquement ses paupières transparentes, regardant bien en face la nouvelle venue.
— Mon époux ? fit-elle sourdement ; êtes-vous bien sûre que j'aie un époux, madame de Brazey ? Reposez-vous bien jusqu'à l'heure du souper.
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