Belle Catherine
grimper dans le chêne dont les branches l'auraient caché et lui auraient permis de s'éloigner sans laisser de traces à terre tandis que le ragot serait lâché. Mais ce damné félin a éventé la ruse et ne s'est pas laissé prendre. Il a suivi la bonne piste. Il faut le rattraper avant qu'il ne trouve l'homme.
Le vent de la course folle, à travers fourrés et taillis, coupait la voix de Catherine. Pourtant, elle parvint à crier :
— Mais Gilles et les autres ?
— Vont galoper un bon moment sur les traces de mon sanglier, répondit Anne, avant de s'apercevoir de leur erreur.
Cela nous laisse un peu de temps.
— Et comment... empêcherez-vous le léopard d'attaquer ?
— Avec ceci !
Et, de l'arçon de sa selle, Anne de Craon détacha un épieu de frêne à pointe d'acier. Les arbres, dans un craquement de branches, défilaient comme un mur roux. Les deux chevaux fuyaient, l'écume aux dents, à travers un tunnel chatoyant, tout crissant de feuilles froissées. Devant elles, Anne et Catherine pouvaient entendre les feulements du fauve en chasse.
Soudain, chevaux et cavalières débouchèrent dans une petite clairière tapissée de mousse, encerclée par les arbres aussi étroitement que par une muraille et qui se fermait par un cul-de-sac rocheux. Des flèches de soleil pâle perçaient la voûte de feuillage, irisant les brins d'herbe où la rosée n'avait pas encore séché. L'endroit était paisible et charmant, mais Catherine n'y trouva qu'horreur et angoisse. Tout au fond, Gauthier et le léopard étaient face à face...
Le grand Normand, adossé aux roches verdies, se tenait ramassé, jambes écartées, mains demi ouvertes, prêtes à crocher. Penché en avant, sa poitrine épaisse soulevée à un rythme rapide par la course qu'il venait de fournir, il haletait, les yeux rivés à ceux du fauve, surveillant le moindre de ses mouvements. La bête était tapie dans les feuilles, gueule béante, montrant des crocs terribles et blancs, ses griffes puissantes plantées dans la terre, grondant doucement et dardant sur l'homme sans armes son vert regard étincelant de fureur.
L'épieu à la main, Anne allait éperonner son cheval tremblant de frayeur. Déjà, elle appuyait son talon quand Gauthier hurla :
— Ne bougez pas !
La détente du fauve suivit immédiatement le cri. Le long corps souple du léopard s'étira dans l'air pour retomber sur Gauthier. La bête et l'homme roulèrent dans la mousse. Le Normand avait réussi à empoigner, à deux mains, la gorge de l'animal et, les bras tendus, tous ses muscles tremblant sous l'effort, il maintenait la gueule béante à l'écart de son visage.
Il grimaçait de douleur car les griffes du léopard avaient labouré ses épaules et tentaient de l'atteindre encore. Les grondements du fauve furieux se mêlaient à la respiration en soufflet de forge de l'homme. Un peu plus loin, les deux femmes, hypnotisées par la peur, maintenaient du mieux qu'elles pouvaient leurs montures épouvantées.
— Mon Dieu !... priait Catherine, machinalement, à mi-voix... Mon Dieu !
Elle ne savait rien dire de plus. Dans un pareil danger, seule la toute-puissance divine pouvait quelque chose... Les bras de Gauthier semblaient deux colonnes de chair massive, saillantes de muscles et de veines bleues tordues comme des cordes, qui retenaient la bête au-dessus de lui. D'un irrésistible coup de reins, il parvint à retourner la situation, coucha le léopard sous lui, non sans essuyer encore quelques coups de griffes. L'animal s'essoufflait, tentait furieusement de libérer sa gorge de l'étau meurtrier. L'odeur du sang le rendait fou, mais Gauthier tenait bon. Ses mains énormes serraient, serraient, prenant bien garde de ne pas glisser sur la fourrure...
Le visage du grand Normand était écarlate, crispé et grimaçant comme un masque démoniaque. Le sang coulait de son torse lacéré, mais aucune plainte ne lui échappait. Soudain, il y eut un craquement suivi d'un feulement plaintif. Et Gauthier se releva, titubant. A ses pieds, le félin noir et jaune demeura immobile, l'échiné rompue. Le grand corps ocellé s'étendit, les pattes retombèrent. Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine des deux femmes. Anne de Craon eut un petit rire nerveux.
— Sang du Christ ! Mon garçon, vous eussiez fait un veneur redoutable ! Comment vous sentez-vous ?
Elle sauta à bas de son cheval, lançant les rênes à Catherine, et courut vers Gauthier. A son tour,
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