Belle Catherine
toits d'une énorme abbaye plantée au confluent de la Loire et de la Vienne.
L'ensemble était si imposant que Catherine hésita à s'avancer et, comme un paysan, sa houe sur l'épaule, débouchait d'un layon, elle le héla :
— Brave homme, cette abbaye est grande et belle, il me semble. Quel est son nom ?
— Dame, fit le bonhomme en tirant son bonnet, c'est la royale abbaye de Fontevrault dont Madame l'abbesse est cousine du roi Charles que Dieu nous veuille garder.
— Merci, murmura la jeune femme tandis que le paysan remettait son couvre-chef et s'éloignait.
Le coup d'œil qu'elle échangea avec Gauthier en disait long et traduisait leur pensée commune. Certes, une abbaye est lieu d'asile, maison de Dieu, mais pouvait-elle s'aventurer sans crainte dans cette pieuse forteresse renommée pour servir de refuge... obligatoire souvent, aux reines répudiées, aux filles de grandes familles indésirables, aux princesses montées en graine et dont l'abbesse était toujours choisie dans les maisons, sinon royales, du moins princières ? Cinq communautés dépendaient de la crosse hautaine de l'abbesse de Fontevrault, plus un hôpital et une léproserie et, chose étrange, sur ces communautés, trois étaient masculines. Les luttes intestines de Fontevrault étaient célèbres et Catherine songea qu'il eût été téméraire de mettre le pied dans cet admirable et noble guêpier.
— Je pense, conclut-elle enfin, qu'il nous faut chercher quelque hutte de charbonnier pour y passer le jour.
La chose se trouva sans peine. On passa là une journée paisible grâce à Gauthier qui réussit à capturer un lièvre et le fit rôtir sur un feu de branches mortes pour la plus grande satisfaction de ses compagnes. Dans la forêt, le Normand était chez lui et n'était jamais en peine pour se sortir d'affaire. La nourriture des bêtes était assurée par un sac de fourrage que l'on devait à la munificence de Martin Berlot et que Morgane, non sans dédain, acceptait, bon gré mal gré, de porter en surplus de Catherine. Quand l'ombre s'étendit sur la profonde forêt, on regagna le bord du fleuve en contournant à distance respectueuse les bâtiments de l'abbaye. Mais, cette fois, la nuit ne se passa pas sans incident. D'abord, les voyageurs se trompèrent de rivière et suivirent le cours de l'Indre au lieu de celui du Cher. Mais on parvenait juste à retrouver le bon chemin quand Rustaud, qui arrivait à bout de souffle, se mit à boiter.
— Il faudra nous arrêter à la première maison pieuse rencontrée, fit Catherine inquiète. Cette bête a besoin de soins.
Mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Ils n'avaient rien trouvé quand, le jour levé depuis un bon moment, ils arrivèrent en vue d'un gros village. La faim commençait à se faire sentir et il fallait trouver à manger pour les humains comme pour les bêtes.
— Nous sommes loin de Champtocé, dit Gauthier. Peut-être pouvons-nous courir le risque d'entrer dans ce bourg et de chercher quelque nourriture ?
— Essayons, répondit Catherine qui souffrait de crampes douloureuses et de pénibles brûlures d'estomac. Son état la sensibilisait de façon inquiétante et elle éprouvait un besoin impérieux de repos et de calme. En elle, l'enfant s'agitait d'une façon désordonnée qui l'effrayait.
Mais, comme les chevaux allaient franchir les premières maisons du village, un appel de trompe vint crisper les nerfs tendus de la jeune femme. Gauthier, qui allait en tête, s'arrêta, se tourna sur sa selle, écartant légèrement Sara qui voyageait les bras passés autour de lui.
— Dame Catherine, dit-il, tout le village est sur la place que l'on voit au bout de ce chemin. Ils écoutent un héraut en cotte bleu et or qui déroule un parchemin.
En effet, la voix forte d'un homme parvenait à Catherine, claire dans le silence glacial du matin, nette et menaçante à la fois.
Bonnes gens ! criait le héraut. Par ordre de notre sire le roi Charles Septième du nom, que Dieu aide, on vous fait savoir que deux criminelles en fuite parcourent actuellement votre région. L'une, Catherine de Brazey, est accusée d'intelligence avec l'ennemi ainsi que du crime affreux d'avoir détourné de ses devoirs pour le conduire chez l'Anglais l'un des capitaines du Roi, l'autre est une sorcière de Bohême nommée Sara, condamnée au bûcher pour ses charmes et maléfices.
Toutes deux sont échappées des geôles de monseigneur Gilles de Rais, maréchal de France.
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