Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Bouches-du-Rhône.
Est-il mort de cette empoignade avec celui qu'il a longtemps considéré comme un des siens, le plus brillant, le plus solide ? Ou s'est-il fracassé la tête sur le sol de sa salle à manger ?
En tout cas, Gaston, son chapeau sur la tête, sa pointe d'accent, son franc-parler, ses lapsus aussi, sa mairie, dont il était si fier, tout cela s'est achevé avec l'échec de la gauche aux législatives.
Je me suis retrouvée à son enterrement. Je suis rentrée de Marseille tout à l'heure. Je ne sais pas pourquoi exactement j'ai fait ce voyage. Pour les souvenirs sans doute : après tout, depuis l'épisode de Monsieur X, en 1965, en passant par l'échec colossal à la présidentielle de 1969 jusqu'à l'arrivée de la gauche au pouvoir, et son arrivée à lui, place Beauvau, que de discussions sur la politique, sur Mitterrand, Marseille, le socialisme, les communistes...
Bref, sans réfléchir, j'ai pris l'avion pour Marseille. Je n'ai jamais assisté à de telles obsèques.
Un long cortège, sous un soleil de plomb, de la mairie, sur le port, à la cathédrale blanche et noire. Huit jeunes socialistes, deux filles, six garçons, issus de toutes les communautés, juive, noire, asiatique, arménienne de la ville, assurant la garde d'honneur du cercueil.
À l'intérieur de l'église, une cérémonie multi-cultuelle. Je n'avais jamais vu, auparavant, alignés côte à côte autant de pasteurs, de prêtres, de patriarches orthodoxes, de religieux maronites.
J'ai trouvé cela plus qu'émouvant, symbolique de sa tolérance, de son ouverture. Pendant tout le temps qu'a duré la marche vers la cathédrale, j'ai pensé à ce qu'il m'avait dit, après son échec à la présidentielle de 1969 : « La politique, c'est comme le bateau, un jour on gagne, un jour on perd ! » Aujourd'hui, il a vraiment perdu. Adieu Gaston.
24 mai
Curieuse situation. Je suis condamnée, et pourtant il faut bien continuer jusqu'à ce que la loi raye d'un trait de plume la Haute Autorité. Je me sens comme un poulet qui, le cou coupé, continue à courir, sans tête, dans la basse-cour.
J'ai par exemple écouté il y a quelques jours, très intéressée, Renaud Denoix de Saint-Marc 4 venu me présenter le budget prévisionnel de la future commission sur l'audiovisuel, qui ne s'appellera sans doute plus Haute Autorité. Il m'en parle comme si j'allais assurément rester à la tête de cette future commission ! Ce qui est encore plus surprenant, c'est que je l'écoute comme si c'était le cas ! C'est surréaliste et assez marrant – au deuxième degré, à tout le moins.
26 mai
Bizarrement, le climat s'alourdit quelques semaines seulement après les législatives. Point de départ : le « forum de L'Expansion ». Jacques Chirac s'aperçoit à cette occasion que les patrons ne marchent pas tous derrière lui, que la reprise de l'investissement ne se fait pas. Le surlendemain, Édouard Balladur 5 le déplore publiquement. Puis, coup sur coup, tombent les chiffres du déficit du commerce extérieur, catastrophiques, et les indices de l'OCDE, exécrables. Michel Noir 6 se lamente sur la situation de l'industrie et du commerce. Et que croyez-vous qu'il se passa ? Ce fut la télévision qui paya... Coup classique : devant les difficultés, Chirac part en guerre, et de quelle façon, contre l'audiovisuel ! Quant à François Léotard, il dénonce FR3 Corse, RFI et RFO, car, dit-il, « ils ont agi contre la France sur ordre de puissances étrangères » !
L'offensive contre l'audiovisuel est déclenchée, l'intervention du gouvernement est manifeste. Après notre conversation fort civile d'il y a quelques jours, Chirac a dû considérer qu'il avait unilatéralement dissous la Haute Autorité et qu'il n'avait donc plus du tout de gants à prendre avec elle.
Voici donc comment les choses se sont passées, samedi. Je suis de permanence à la Haute Autorité : les déclarations officielles de Chirac contre la télévision et les journalistes de TF1 sont telles que la Haute Autorité, toujours en fonctions, ne peut que protester, faute de quoi elle passerait pour moins indépendante avec Chirac qu'elle ne l'a été sous le gouvernement précédent. Ce qui serait un comble ! Je veux bien qu'on supprime la Haute Autorité, mais, tant qu'elle est en fonctions, il ne faut pas la ridiculiser.
Je prépare donc un communiqué de protestation que je soumets par téléphone à Marc Paillet, à Paul Guimard et à Jean
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