Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Autin. Gabriel de Broglie n'est pas là. Je balance le communiqué à la presse.
Ce sera la première occasion grave d'affrontement, le lundi, donc aujourd'hui, entre les six membres nommés par la gauche et les trois nommés par la droite. Comme on pouvait le redouter, une partie de la Haute Autorité (moins libre, assurément, à l'égard de l'actuelle majorité que nous ne l'avions été vis-à-vis de la précédente) donne raison à Jacques Chirac dans sa condamnation de l'info de TF1 que Gabriel de Broglie trouve, il nous en fait l'aveu aujourd'hui, « pas bonne et pas équilibrée ». Toujours est-il que Broglie, Autin et Castans ont balancé de leur côté un communiqué contredisant le mien. Alors que j'avais évidemment consulté deux d'entre eux avant de publier le mien, avec l'assentiment de Marc Paillet et de Paul Guimard.
Cet affrontement me démontre que je dois faire très attention : je n'ai plus véritablement la situation en main, le passage est délicat entre mon rôle personnel au sein de l'institution, sur le déclin, puisque ses jours sont comptés, et celui de Gabriel de Broglie, qui, par la force des choses, prend de l'autorité au fur et mesure que j'en perds.
3 juin
L'agonie continue.
Vu Raymond Barre, qui me réconforte, mais oui !...
Le calendrier est déjà à peu près fixé. La présence de la Haute Autorité verrouille le château de cartes de l'audiovisuel : le gouvernement, si grande que soit son envie de faire sauter les présidents de chaînes, doit d'abord abroger par une loi la loi de 1982 créant la Haute Autorité. C'est donc nous qui allons être liquidés en premier. Le reste viendra après.
Apparemment, le gouvernement entend aller vite : la nouvelle loi doit être présentée au Parlement dès l'automne. D'ici là, ce sera une période difficile pour moi : la moindre de mes décisions posera problème et sera contestée à l'intérieur. Ne rien dire, je veux bien. Mais si Chirac recommence ses attaques, je serai bien obligée de répondre au nom de tous les gens que j'ai nommés en l'espace de quatre ans et que je ne veux pas entendre désavouer tous les jours.
J'appelle Chirac pour le lui dire : c'est le plus simple. Il me répond qu'il s'est laissé emporter, que cela ne se reproduira pas. J'en accepte l'augure.
4 juin
Je continue de faire comme si . Il paraît que c'est cela la continuité républicaine. Nous parlons aujourd'hui de la vie de la Haute Autorité durant l'été. Paul Guimard fait valoir que moins on en fera désormais, plus on limitera les risques de frictions entre nous. « Il faut faire notre travail », répond noblement Jean Autin, qui se prépare à faire partie de la future commission mise en place à l'automne prochain. « Je ferai ce que j'estime nécessaire », lui répond Daniel Karlin. « Je ne me tairai pas sur les conditions de l'information en France, rétorque Marc Paillet. Pas plus que sur la nécessité d'un service public fort ! » Gilbert Comte fonce dans la polémique et je dois reconnaître que, pour une fois, il n'a pas tort : « Si nous ne faisons pas de politique, dit-il brillamment, la politique s'occupe de nous !... La situation est singulière, poursuit-il ; le gouvernement s'est mis à notre égard dans la situation de dire : et si nous vendions le premier étage de la Haute Autorité ! Et si nous congédiions son concierge ! À moins qu'il ne doive rester seul pendant l'été pour faire le ménage et les escaliers ? Comment vivre normalement alors que nous ne pouvons faire abstraction de l'échéance politique qui pèse sur nous ? »
Nous concluons néanmoins que le plus sage est de démontrer, en continuant notre travail – et surtout la délivrance des autorisations d'émettre à des radios pour lesquelles certaines personnes attendent depuis de longs mois nos décisions –, que ce que nous faisons depuis plusieurs années a un sens.
Pour le reste, en effet, faisons semblant...
29 juin
Rencontre avec Jacques Toubon, la première depuis les élections.
Il faut l'entendre parler de la presse : il juge antigouvernemental Le Journal du dimanche . Et trouve, bizarrement, Paris Match « barriste » ! Barriste ? Je n'en crois pas mes oreilles. La vie est bien un éternel recommencement...
Cette conversation me conforte dans ma décision : il faut me tirer de l'endroit où je suis. Je veux bien attendre la loi. Mais, dès qu'elle aura été présentée au Parlement, je serai
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