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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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nuit, par ces lignes :
    « Je dois accomplir les gestes que ma fille Marie a eu le courage de faire.
    « Telle est ma seule espérance.
    « Voici mes poignets, voici ma gorge.
    « Mort, tends-moi ta faux, ta lame aiguisée !
    « Et que mon sang coule ! »
     
    L’idée d’aller à la rencontre de la Mort, de la devancer, de la contraindre à me frapper afin d’échapper à l’angoisse de l’attente, de choisir, moi, homme libre, le moment, m’a obsédé.
    C’est alors que j’ai pris la décision de retourner à Patmos. Il m’a suffi de quelques heures pour justifier et organiser mon départ : médecin, congé maladie, agence de voyages, sac contenant vêtements et livres, et, après tant de jours et de nuits d’angoisse et d’insomnie, la paix en moi.
     
    J’étais en route pour la fin du voyage.
    Paul Déméter avait dû éprouver ce même sentiment de libération, quand la décision est prise, qu’il ne suffit plus que d’accomplir quelques gestes pour que le rideau tombe.
     
    Puis je suis entré dans le hall de l’hôtel Xénia, à Skala.
    J’ai vu cette jeune femme dont les cheveux noirs, mi-longs, tombaient sur l’épaule droite, et j’ai su aussitôt qu’il s’agissait de Claudia Romano.
    Elle était grande et frêle. J’ai pensé : décharnée  ; Claudia, ma décharnée .
    Quand je l’ai interpellée, elle ne s’est pas dérobée.
    « Vous, ai-je commencé, vous n’avez rien dit. »
    Je l’ai fixée, plongeant dans ses yeux.
    « Vous n’avez pas voulu ou pas pu mentir. »
    Elle a baissé la tête.
    « Racontez-moi. »
    Je l’ai rassurée – je me suis rassuré – en enveloppant ses épaules de mon bras.
    « Racontez-moi. Vous avez besoin de parler, et moi d’entendre. »

51
    Claudia a raconté :
    « C’était la nuit de la trahison. Nous étions vautrés dans cette oliveraie qui entoure la bergerie. Nous buvions, fumions, divaguions, serrés les uns contre les autres, les uns sur les autres.
    « Paul Déméter se tenait à l’écart, à quelques pas, adossé à un arbre. Peut-être avait-il bu, lui aussi. Il soliloquait, répétant qu’il méritait la mort, qu’il avait commis un crime, tué sa fille. Il prononçait de longues tirades, puis, tout à coup, il laissait sa tête retomber sur sa poitrine. Veraghen l’interpellait, l’insultait, l’accusait de lâcheté. Et nous mêlions nos voix à la sienne pour crier : “Tue-toi ! Tue-toi et fous-nous la paix !”
    « Quelqu’un a lancé : “Si tu veux, nous, on te tue !” »
     
    Elle s’est interrompue.
    Je marchais près d’elle sur le quai désert du port de Skala. Le vent soufflait fort. Le mugissement des rafales qui s’engouffraient dans les ruelles accompagnait le choc sourd des coques poussées les uns contre les autres. Les drisses des voiliers grinçaient.
    Jamais le ciel nocturne ne m’avait paru aussi lumineux.
     
    « C’était le même ciel, a repris Claudia, plein d’amoncellements d’étoiles, de grumeaux de lumière, de millions de regards.
    « “On te tue !” : voilà ce que j’ai crié avec les autres.
    « Paul Déméter s’est levé, a écarté les bras.
    « “Tuez-moi donc !”
    « Nous avons commencé à le lapider avec des mottes de terre sèche, puis avec des pierres que certains d’entre nous allaient chercher dans le chemin menant à la bergerie.
    « Il s’est protégé le visage avec son bras replié à hauteur d’yeux.
    « Cet hypocrite, ce salaud de Veraghen l’a insulté, lui remontrant qu’il était comme nous tous accroché à la vie, parce qu’il n’y avait qu’elle, que tout le reste était foutaise. Ne le savait-il pas, même s’il prétendait être croyant, prophète, et pourquoi pas le Christ revenu parmi nous ?
    « “On te tue !”
    « Nous nous sommes approchés, nous l’avons bousculé et il s’est enfui.
    « Nous avons hésité, puis nous l’avons poursuivi jusque dans la chapelle. Il se tenait devant l’autel, les poignets ensanglantés. Il avait inscrit nos noms sur le mur de part et d’autre de l’autel.
    « Veraghen l’a empoigné aux épaules, l’a secoué, injurié, accusé de vouloir nous compromettre alors qu’il s’était à peine égratigné les poignets, ce comediante  !
    « “On va te tuer pour de bon, monsieur le Professeur !” »
     
    Elle s’est mise à trembler, à hoqueter, à sangloter. Je l’ai prise contre moi et elle s’est accrochée à mon cou comme si elle-même avait

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