Catherine des grands chemins
peur du mal, l'eût accueilli... Non, rétorquait Gauthier, le maître craignait trop de contaminer les siens.
S'il avait approché sa mère, c'est parce qu'il la savait mourante... et Fortunat, peut- être, l'avait conduit à une autre maladrerie. On disait que, vers Conques, il en existait une...
— Ne désespérez pas, dame Catherine... Nous allons rentrer à Montsalvy et, dans quelques jours, vous verrez revenir Fortunat.
Croyez-moi.
— Je voudrais bien te croire, soupirait Catherine, mais je n'ose pas. Tant de fois, j'ai été déçue.
— Je sais. Mais avec du courage, de l'obstination, on peut venir à bout de l'adversité. Un jour, dame Catherine, vous aussi...
— Non. Ne dis plus rien. J'essayerai d'être raisonnable...
J'essayerai de te croire...
Mais elle n'y parvenait pas. Le jour levant la trouva aussi abattue, aussi désespérée. Elle remercia généreusement la vieille paysanne de son hospitalité puis, dans une gloire de soleil qui blessait à la fois ses yeux las et son cœur lourd, elle reprit avec Gauthier le chemin de Montsalvy.
Du magnifique paysage de la vallée de la Truyère avec ses vertes pentes boisées Catherine ne vit rien. Elle chevauchait, le dos rond, les yeux mi-clos, traînant son cœur comme un boulet. La vision de l'autre nuit l'avait tellement persuadée de la mort d'Arnaud que le monde entier, tout à coup, avait perdu sa couleur. Elle ne voyait ni l'exubérante verdure des arbres, ni les fleurs des champs, ni les haies fleuries, ni l'éclat du soleil. C'était comme si quelque chose était mort en elle. Son esprit vide ne trouvait même plus une prière pour implorer du ciel un secours quelconque. A deux doigts du blasphème, Catherine ne pensait à Dieu que pour l'accuser d'injuste cruauté. De quel prix ne lui faisait-il pas payer chacune des faveurs qu'il lui accordait si parcimonieusement ?
Elle découvrait, en outre, qu'elle n'avait jamais cru Arnaud vraiment perdu pour elle avant cette minute. On l'avait retranché des vivants, mais, quelque part sous le ciel, il respirait et elle gardait, elle, Catherine, la possibilité d'aller le retrouver une fois sa tâche terminée.
Mais, maintenant, que lui restait-il ? Un vide immense et un goût de cendres sur les lèvres... De temps en temps, Gauthier poussait son cheval auprès du sien, lui parlait pour tenter de l'arracher à cette annihilant tristesse. Elle répondait par monosyllabes puis, éperonnant son cheval, reprenait quelques toises d'avance. Il n'y avait, pour elle, que la solitude qui fût supportable...
Pourtant, lorsque Catherine rentra dans la cour de Montsalvy, quelque chose se ranima en elle, quelque chose qui ressemblait à une joie. Au seuil de l'hôtellerie, le petit Michel dans les bras, il y avait Sara ! Elle se tenait immobile, le bambin niché contre son cœur, semblable à quelque madone rustique, mais, à mesure que les cavaliers avançaient dans la cour, les yeux aigus de la bohémienne distinguèrent le visage ravagé de Catherine, son regard de somnambule. Les traits, sévères d'abord, de Sara se détendirent.
L'amour, presque maternel, qu'elle avait pour Catherine devina sa souffrance, rien que dans sa silhouette accablée. Sans la quitter des yeux, elle tendit Michel à Donatienne qui accourait au bruit des chevaux, s'avança à la rencontre des cavaliers.
Aucun mot ne fut prononcé. Comme Sara arrivait près de sa monture, Catherine se laissa glisser à terre et s'abattit en sanglotant dans les bras qui se tendaient déjà. Comme il lui parut bon, à cet instant de désespoir, le cher refuge momentanément perdu ! Mais si pitoyable était l'aspect de la jeune femme que Sara, à son tour, se mit à pleurer. Etroitement embrassées, mêlant leurs larmes, elles retournèrent vers la maison.
Là, Catherine retrouva un peu le contrôle de ses nerfs et leva sur sa vieille amie une figure de noyée.
— Sara ! Ma bonne Sara !... Si tu es revenue, c'est que je ne suis pas tout à fait maudite.
— Maudite, toi ? Pauvrette... Qu'est-ce qui a pu te mettre ça dans l'idée ?
Elle est persuadée que messire Arnaud a péri dans l'incendie qui a ravagé la maladrerie de Calves, fit derrière elles la voix grave de Gauthier. Elle ne veut entendre aucune consolation, elle ne veut accepter aucun doute.
— Ouais ! fit Sara toute sa combativité retrouvée à la seule vue de son ancien ennemi. Venez me raconter ça.
Et, laissant Catherine embrasser son fils avec un emportement qui en disait
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