Catherine des grands chemins
n'insista pas, donna le signal du départ. Tout le long de la journée le voyage se poursuivit sans incident. C'était partout le même désert, les mêmes paysages tourmentés. La vue des hommes d'armes faisait fuir les rares paysans que l'on rencontrait. La guerre était tellement passée sur ces pauvres gens, avait tant ravagé, tant pillé, tant semé de larmes et de sang qu'ils ne se donnaient même plus la peine de chercher à quel parti appartenaient ceux qui survenaient. Amis ou ennemis étaient également néfastes, identiquement cruels. La vue d'une lance brillant au soleil faisait fermer les portes, barricader les fenêtres. On devinait, derrière les murs muets, les souffles retenus, les cœurs battant trop vite, les sueurs d'angoisse et Catherine ne pouvait se défendre d'un sentiment de gêne, d'un malaise presque physique.
Le cheval qui les portait, elle et Mac Laren, était un rouan vigoureux mais sans finesse, un vrai cheval de bataille fait pour les coups durs et la violence, non pour la course rapide, la fuite à travers bois, les galopades sur les hauts plateaux dénudés, dans le cinglement des branches ou dans le tourbillon des vents. Ce n'était pas Morgane !
En évoquant la petite jument, Catherine sentit son cœur se serrer.
Elle écrasa même une larme d'un doigt rageur. Sotte qu'elle était de s'attacher ainsi à un animal ! Morgane avait quitté, pour elle, les écuries de Gilles de Rais, elle la quitterait pour d'autres maîtres avec autant de désinvolture... malgré tout, cette idée était pénible à Catherine. En partant, elle avait bien recommandé à Kennedy de veiller sur Morgane, mais le capitaine écossais n'aurait-il pas autre chose à faire que s'occuper d'une jument, même racée ? De Morgane, l'esprit de Catherine remontait à Michel, puis à Arnaud et une amertume, alors, lui venait. Elle eût souhaité ne jamais bouger de Carlat, laisser couler sur elle des jours tous semblables jusqu'à ce que vînt la mort, mais, apparemment, le destin en avait décidé autrement.
Pour son fils, il lui fallait reprendre, la lutte, se replonger dans les remous d'une vie qui ne lui plaisait plus...
Tandis que Catherine songeait ainsi, le chemin défilait sous les jambes des chevaux. De toute la journée, elle n'échangea pas une parole avec Mac Laren. Le soir venu, on s'arrêta à Mauriac. De noires maisons de lave écrasées au pied des tours carrées d'une basilique romane, une fort pauvre maison-Dieu, halte des pèlerins de Saint-Jacques sur la route de Compostelle en Galice, Catherine n'en vit pas plus. Mais elle était heureuse que ce pieux asile, tenu par trois Frères Mineurs, lui épargnât la présence des soldats et, surtout, de leur énigmatique chef. Une chose était certaine : Mac Laren ne se décourageait pas. En l'aidant à descendre de cheval devant la maison-Dieu, il avait serré sa taille plus qu'il n'aurait fallu. Le geste était significatif, mais à peine la jeune femme eut-elle mis pied à terre qu'il la lâchait, se détournait sans sonner mot et s'en allait veiller au logement de ses hommes. Cependant Sara s'était rapprochée de Catherine.
— Comment le trouves-tu ? demanda-t-elle à brûle- pourpoint.
— Et toi ?
— Je ne sais pas. Il y a, en cet homme, une puissance de vie extraordinaire, une sève toute-puissante... et pourtant je jurerais que la mort chevauche en croupe de son cheval.
Catherine frissonna.
— Oublies-tu que c'est moi qui partage son cheval ?
— Non, fit Sara lentement, je ne l'oublie pas. Mais peut-être représentes-tu la mort de cet homme.
Pour cacher son trouble, Catherine pénétra sous la porte basse de la maison-Dieu. Dans le couloir pavé de cailloux ronds et noirs, un moine, une torche au poing, s'avança.
— Que cherchez-vous ici ? fit-il trompé par le costume des deux femmes. Le logement des soldats d'Ecosse se trouve au fond de la cour et...
— Nous sommes des femmes, coupa Catherine. Nous voyageons ainsi pour passer inaperçues.
Les sourcils clairsemés du moine se froncèrent. Son visage, qui avait la couleur d'un vieux parchemin jauni, se plissa de rides profondes.
— Un costume si immodeste ne saurait convenir dans la maison du Seigneur. L'Église réprouve celles qui portent de telles tenues Si vous voulez entrer ici, reprenez les habits et la décence qui conviennent à votre sexe ! Sinon, allez rejoindre vos compagnons de voyage !
Catherine n'hésita qu'à peine. Au surplus, elle se sentait mal à
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