Catherine des grands chemins
Je vais avec elle.
— Fero a dit Tchalaï seule. Il n'a pas dit Tchalaï et Sara. Viens, ma sœur. Il n'aime pas attendre.
Et la jeune fille, reculant d'un pas, rentra dans l'ombre. Catherine, alors, suivit sans un mot le petit fantôme rouge. L'une derrière l'autre, elles traversèrent une bonne partie du camp silencieux. Les feux s'éteignaient déjà et les Tziganes se retiraient pour dormir. La nuit était sombre. L'on y voyait mal. Soudain, comme le chariot à roues pleines qui servait de logis au chef, éclairé à l'intérieur par une lampe à huile, n'était plus qu'à quelques pas, Tereina s'arrêta et se tourna vers Catherine. Celle-ci vit briller, dans l'ombre, les grands yeux de la Tzigane.
— Tchalaï, ma sœur, tu sais que je t'aime, dit-elle gravement.
— Je le crois, du moins. Tu as toujours été bonne avec moi.
— C'est parce que je t'aime. Mais, ce soir, je veux te le prouver.
Tiens... prends ceci et bois.
Elle avait tiré de son vêtement une petite fiole et la mettait dans la main de Catherine, toute chaude de sa propre chaleur.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda la jeune femme soudain méfiante.
— Quelque chose dont tu as grand besoin. J'ai lu en toi, Tchalaï.
Ton cœur est froid comme le cœur d'une morte et je veux que ton cœur revive. Avec ce que je te donne, ton cœur revivra. Bois sans hésiter, à moins que tu ne te défies de moi ? ajouta-t-elle avec tant de tristesse que Catherine sentit sa méfiance s'amollir.
— Je ne me méfie pas de toi, Tereina, mais pourquoi ce soir ?
— Parce que c'est ce soir que tu en auras besoin. Bois sans crainte, ce sont des herbes bénéfiques. Tu ne sentiras plus ni fatigue ni découragement. J'ai fait ce mélange pour toi... parce que je t'aime.
Quelque chose de plus fort qu'elle poussa Catherine à porter à ses lèvres le petit flacon. Il dégageait un parfum d'herbes, puissant mais agréable. Elle n'avait plus aucune crainte. On n'offre pas le poison avec cette tendresse dans la voix... D'un trait, elle avala le contenu puis toussa. C'était comme une flamme parfumée qui avait coulé en elle et, instantanément, elle se sentit plus forte et plus vaillante. Elle sourit au visage tendu de la jeune fille.
— Voilà, tu es contente ?
Doucement, Tereina serra sa main, sourit à son tour.
— Oui... Va, maintenant. Il t'attend.
En effet, sous la toile soulevée du chariot, la silhouette de Fero se découpait en noir sur le fond éclairé. Tereina disparut comme par enchantement tandis que Catherine, prise d'un nouveau courage, s'avançait vers le logis du chef. Il tendit la main sans rien dire, l'aida à monter dans le véhicule et laissa retomber la toile sur eux. Au même instant, un éclair livide illumina le ciel tandis qu'au bout de l'horizon le tonnerre éclatait. Catherine, surprise, sursauta. Les dents blanches de Fero étincelèrent entre ses lèvres rouges.
— Tu as peur de l'orage ?
— Non. J'ai seulement été surprise. Pourquoi aurais-je peur ?
Un nouveau coup de tonnerre, plus brutal que le premier, lui coupa la parole. Et aussitôt la pluie se mit à tomber ; une pluie violente, hargneuse, qui frappait comme un tambour le feutre tendu du chariot.
Fero alla s'étendre sur les couvertures pliées qui lui servaient de lit. Il avait ôté son pourpoint et portait seulement ses chausses écarlates. La lampe à huile accrochée à un des arceaux de fer de la voiture faisait briller sa peau brune et ses longs cheveux noirs rejetés en arrière. Son regard ne quittait pas Catherine demeurée près de l'entrée. Il eut un nouveau sourire, lent, un peu moqueur.
— Je crois, en effet, que tu n'as pas peur de grand- chose... puisque tu es ici. Sais-tu pourquoi je t'ai fait venir ?
— Je pense que tu vas me l'apprendre.
— En effet, je voulais te dire que cinq de mes hommes t'ont déjà demandée pour femme. Ils sont prêts à se battre pour toi. Il va te falloir choisir celui avec lequel tu prendras le pain et le sel et casseras la cruche des épousailles.
Catherine eut un haut-le-corps et abandonna aussitôt le tutoiement de son rôle.
— Vous perdez la tête, je pense. Oubliez-vous qui je suis et pourquoi je suis ici ? Je veux entrer au château, un point c'est tout.
Une flamme cruelle s'alluma dans les yeux du chef tzigane et il haussa les épaules.
— Je n'oublie rien. Tu es une grande dame, je sais. Mais tu as voulu vivre parmi nous et, bon gré, mal gré, il te faut subir nos coutumes. Quand plusieurs
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