Catherine des grands chemins
noire.
— C'est fini, fit Sara. L'homme, par le chemin de l'eau, va rejoindre le pays de ses ancêtres.
— Nous pouvons approcher, alors, dit Tristan. Puisque...
Mais il s'interrompit. Sara, brusquement à pleine voix, s'était mise à chanter, faisant sursauter Catherine. Il y avait longtemps que la jeune femme n'avait entendu chanter Sara, tout au moins de cette manière.
Bien sûr, elle avait souvent fredonné de vieilles ballades pour endormir le petit Michel, mais ces mélopées étranges, venues du fond des âges, rauques, sauvages et incompréhensibles, Catherine ne les avait entendues que deux fois : jadis, dans la taverne de Jacquot de la Mer, à Dijon, et auprès du feu des gitans qui, un moment, avaient entraîné Sara avec eux. Quelque chose se noua dans sa gorge en l'écoutant. La voix de Sara, ample, puissante, semblait peupler la nuit et lui porter tous les profonds échos de la terre lointaine d'où était venue l'étrange femme... Toute la tribu s'était tournée vers elle et l'écoutait, fascinée.
Lentement, Sara, sans cesser de chanter, se mit en marche, descendant la pente du fossé. Catherine et Tristan suivirent, le dernier menant les chevaux par la bride, et, devant eux, les Tziganes ouvrirent leurs rangs. C'est seulement en arrivant devant le chef que Sara se tut.
— Je suis Sara la Noire, dit-elle alors simplement, et mon sang est frère du tien. Celle-ci est ma nièce, Tchalaï ; et l'homme que voici nous a menées jusqu'à toi, à travers bien des périls. Nous acceptes-tu ?
Lentement, Fero leva sa lourde main et la posa sur l'épaule de Sara.
— Sois la bienvenue, ma sœur. L'homme qui t'accompagne n'avait pas menti. Tu es des nôtres et ton sang est pur car tu sais les vieux chants rituels que seuls connaissent les meilleurs d'entre nous. Quant à celle- ci... - Son regard noir détailla Catherine qui eut l'impression soudaine d'être enveloppée de flammes... - sa beauté sera le joyau de notre tribu. Venez, les femmes prendront soin de vous...
Il s'inclina devant Sara comme devant une reine puis entraîna Tristan vers le feu tandis qu'un cercle jacassant se refermait sur les deux femmes. Catherine, ahurie, les oreilles bourdonnantes, se laissa conduire vers les quelques chariots massés au pied d'une des tours.
Une heure plus tard, étendue entre Sara et la vieille Orka, la mère de l'homme qui avait été pendu, elle essayait à la fois de se réchauffer et de mettre de l'ordre dans ses idées. Tristan était reparti pour l'auberge du « Pressoir Royal » où il resterait à la disposition de ses compagnes, aux aguets, mais tout de même à l'écart du camp tzigane où sa présence pourrait surprendre. Il avait emporté les vêtements de Catherine et de Sara que le premier soin des femmes de la tribu avait été d'habiller avec ce que l'on avait pu trouver dans les coffres. Et, maintenant, vêtue seulement d'une longue chemise de toile, si rude qu'elle lui irritait la peau, et d'une sorte de couverture bariolée et passablement effrangée mais à peu près propre, drapée par-dessus à la manière d'une toge romaine, les pieds nus, Catherine se recroquevillait contre Sara, les jambes repliées sous elle, pour essayer d'avoir moins froid. Elle aurait donné n'importe quoi pour une botte de paille, mais, dans ce chariot couvert d'une bâche trouée, il n'y avait, sur les planches mal jointes, que de mauvais chiffons pour préserver des courants d'air et de la dureté du bois... Un soupir lui échappa et Sara, la sentant remuer, chuchota :
— Tu es bien sûre de ne rien regretter ?
La trace d'ironie que comportait la question n'échappa pas à.
Catherine. Elle serra les dents.
— Je ne regrette rien... mais j'ai froid.
— Tu n'auras pas froid longtemps. D'abord, on se fait à tout, et puis les beaux jours vont venir.
La jeune femme ne répondit rien. Elle sentait que Sara, peut-être parce qu'elle s'était réadaptée aussitôt à la vie difficile des siens, n'avait pour elle aucune compassion. Il y avait, dans sa voix, une sorte de contentement paisible, celui d'avoir rejoint ses sources profondes.
Et Catherine se jura d'être à la hauteur du rôle qu'elle avait voulu jouer car elle ne voulait pas perdre la face aux yeux de Sara. Elle se contenta donc de s'envelopper plus étroitement dans sa couverture, en prenant bien soin d'y enfermer ses pieds glacés, et de marmonner un vague bonsoir. À côté d'elle, la vieille Orka dormait sans plus bouger ni faire de
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