Catherine et le temps d'aimer
premier à se convertir à la vraie foi !
— Notre calife accepterait de laisser partir sa sœur ?
— Qui donc a jamais pu s'opposer à la volonté de Zobeïda ? As-tu vu qui s'est constitué le gardien de son précieux otage ? Le vizir Aben-Ahmed Banu Saradj en personne... Elle partira quand elle voudra et le sultan mérinide lui fera grand accueil.
Mais un groupe de femmes richement vêtues approchait et les deux mendiants abandonnèrent leurs propos pour se lancer dans une imploration geignarde, destinée à leur attirer des aumônes. Catherine, d'ailleurs, en avait assez entendu. Rechaussant vivement sa babouche abandonnée, elle empoigna son grand voile à deux mains et, avant que ses gardiennes, encore accroupies, aient eu, cette fois, le temps de la retenir, elle s'était mise à courir à toutes jambes vers la maison de Fatima.
Les potins des deux mendiants l'avaient jetée dans la plus folle panique. Pour que ces hommes des rues parlassent d'Arnaud avec cet intérêt, pour que la ville retentît de son nom à chaque carrefour, il fallait que le captif franc souleva de bien profondes vagues de curiosité et d'intérêt. Il fallait que Zobeïda en eût fait vraiment un personnage d'exception, presque de légende... et ce personnage-là devait être gardé de près. Si cette maudite princesse emmenait Arnaud en Afrique, il faudrait encore le poursuivre, reprendre la route, courir de nouveaux risques, cette fois à peu près insurmontables puisque, dans les villes mystérieuses de ce pays qu'on appelait Maghreb, elle n'aurait plus la maison d'Abou- al-Khayr, ni l'aide du petit médecin. A tout prix, il fallait empêcher cela, reprendre Arnaud avant, fuir avec lui enfin...
Un instant, elle eut la tentation de courir droit chez le petit médecin, mais, à cette heure-là, elle le savait, il était chez ses malades. Et les gardiennes du hammam auraient tôt fait de la rattraper avant la maison de son ami. Elle s'engouffra donc dans la demeure de Fatima et, toujours courant, se précipita dans le patio intérieur, planté de citronniers, de grenadiers et de vigne. Mais, au seuil de la colonnade qui entourait le jardin clos, elle s'arrêta, contrariée : Fatima était bien là, mais elle n'était pas seule. Drapée dans une invraisemblable robe rayée de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, un voile roulé en turban masculin autour de sa tête crépue, la grosse Ethiopienne se promenait dans les petites allées enlacées autour de la vasque rose du centre.
Auprès d'elle, Catherine reconnut la vieille de l'autre jour bien que, cette fois, le brocart qui l'empaquetait fût d'un mauve crépusculaire brodé de larges fleurs vertes.
Apercevant Catherine, à la fois haletante de sa course et hésitante au bord du jardin, Fatima comprit qu'il se passait quelque chose et, abandonnant, avec un mot d'excuse, sa visiteuse, elle rejoignit hâtivement la jeune femme.
— Qu'y a-t-il ? Que t'est-il arrivé ? Où sont tes gardiennes ?
— Elles me suivent. Je suis venue te dire adieu, Fatima, adieu et merci. Je dois rentrer chez mon... maître !
— Il n'est pas venu te réclamer, que je sache. L'as-tu donc rencontré ? fit la négresse d'un ton chargé de doute.
— Non. Mais il faut que je rejoigne sa maison au plus vite...
— Te voilà bien pressée ? D'autant plus qu'Abou le médecin n'est pas chez lui. Il a été appelé à l'Alcazar Genil. La sultane s'est blessée en prenant son bain.
— Eh bien... il me trouvera en rentrant, voilà tout ! Ce sera pour lui une bonne surprise...
— Et pour toi ? La nuit qui t'attend sera-t-elle aussi une bonne surprise ?
Les gros yeux blancs de la négresse fouillaient le regard vacillant de Catherine, scrutaient son visage où montait une rougeur.
— Un peu plus tôt un peu plus tard !... murmura la jeune femme avec un geste évasif.
— Je croyais, dit Fatima lentement, que tu désirais plus que tout gagner Al Hamra ?
A ce nom, le cœur de Catherine manqua un battement, mais elle se força à montrer de la désinvolture.
— À quoi bon rêver ? Qui peut se vanter de réaliser ses rêves ?
— Obéis-moi et, ce rêve-là du moins, tu le réaliseras, et sans tarder. Viens avec moi.
Elle prit le poignet de Catherine, voulut l'entraîner, mais, saisie d'une brusque méfiance, celle-ci résista.
— Où m'emmènes-tu ?
— Vers cette femme que tu vois là, près de la vasque... et vers Al Hamra, si tu le veux toujours. Cette vieille est Morayma. Tout le monde la
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