Catherine et le temps d'aimer
croient que je vais me laisser fouiller...
— Il le faudra bien, ma chère amie ! Sinon, les soupçons se porteraient sur vous et, de l'humeur dont se trouvent nos compagnons, ils risqueraient de vous faire un mauvais parti ! Oh !... que vous êtes donc maladroit, mon frère !
La dernière partie de la phrase s'adressait à Josse qui, butant contre une pierre, venait de la bousculer si brutalement que tous deux s'étaient retrouvés à genoux sur le talus.
— Je suis désolé, fit le Parisien, la mine contrite, mais ce damné chemin est plus troué que la robe d'un moine mendiant. Vous ai-je fait mal ?
Plein de sollicitude, il l'aidait à se relever, chassait de la main les marques de boue sur la robe et la cape de la jeune femme. Il avait l'air si malheureux qu'elle ne se sentit pas le cœur de lui en vouloir.
— Ce n'est rien ! dit-elle en lui souriant gentiment. Nous en verrons d'autres !
Puis, avec Ermengarde, elle alla s'asseoir sur un rocher sous l'auvent de la petite chapelle dans laquelle les nonnes venaient d'entrer. On avait décidé que les femmes passeraient en premier pour que les saintes filles pussent rentrer le plus vite possible à leur couvent. Mais quelques hommes de bonne volonté, Gerbert en tête, se soumettaient dehors au désagréable examen. Heureusement, la pluie fit trêve un instant.
— Ce pays est beau ! fit Catherine en désignant le cirque gris, vert et bleu étendu à leurs pieds.
— Le pays est beau, riposta Ermengarde moqueuse, mais j'aimerais mieux qu'il soit déjà loin derrière nous. Ah ! voici mes suivantes qui sortent, allons-y maintenant ! Aidez-moi !
Etayées l'une sur l'autre, les deux amies pénétrèrent dans l'oratoire.
Il y faisait froid, humide, une écœurante odeur de moisi y régnait et la vieille dame, malgré ses vêtements chauds, ne put s'empêcher de frissonner.
— Faites vite, vous deux ! lança-t-elle rudement aux religieuses. Et n'ayez pas peur, je n'ai encore jamais dévoré personne, ajouta-t-elle goguenarde devant leur mine effarée.
Elles étaient jeunes toutes deux, visiblement impressionnées par cette grande et forte femme qui parlait avec tant d'assurance, mais ne s'en livrèrent pas moins à une fouille minutieuse qu'Ermengarde subit en piaffant d'impatience. Après quoi, la plus âgée des deux se tourna vers Catherine qui attendait son tour.
— A vous, ma sœur ! lança-t-elle en s'approchant d'elle. Et d'abord, donnez-moi cette aumônière qui pend à votre ceinture.
Sans un mot, Catherine détacha la grande poche de cuir solide dans laquelle elle gardait son chapelet, un peu d'or, la dague à l'épervier qui ne la quittait jamais et l'émeraude gravée de la reine Yolande. La simplicité voulue de son accoutrement d'errante ne lui permettait pas, en effet, de porter à son doigt un bijou de cette valeur et, d'autre part, elle ne voulait pas s'en séparer. D'autant moins qu'elle se dirigeait vers ces pays espagnols d'où était originaire la souveraine et où ses armes pouvaient être un secours, ainsi que Yolande elle-même le lui avait dit.
La nonne vida l'aumônière sur l'étroit autel de pierre et, voyant la dague, jeta sur Catherine un regard oblique.
— Un étrange objet pour une femme qui ne doit avoir autre défense que sa prière.
— Cette dague est celle de mon époux ! répliqua la jeune femme sèchement. Je ne m'en sépare jamais et j'ai appris à me défendre contre les brigands !
— Qui seraient fort intéressés par ceci, sans doute ! lit la sœur en désignant la bague.
Une bouffée de colère monta aux joues de Catherine. Le ton et les manières de cette femme lui déplaisaient. Elle ne résista pas au désir de lui clouer le bec.
— La reine Yolande, duchesse d'Anjou et mère de notre reine me l'a donnée elle-même. Y voyez-vous un inconvénient ? Je suis...
— Une grande dame, sans doute ? coupa l'autre avec un sourire sarcastique. Cela se devine sans peine quand on voit ces choses.
Qu'avez-vous à dire... noble dame ?
Sous les yeux ahuris de Catherine, elle venait de déplier un petit linge que la jeune femme n'avait pas encore remarqué. Et, sur sa blancheur douteuse, étincelaient, splendides, d'un magnifique rouge sombre, les cinq rubis de sainte Foy...
— Qu'est-ce que cela ? s'écria Catherine. Je ne les ai jamais vus.
Ermengarde !
— C'est de la sorcellerie ! s'écria la grosse dame. Comment ces pierres sont-elles venues ici ? Il faut...
— Sorcellerie ou pas, nous les tenons !
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