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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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respirer en se
rendant d’une prison à l’autre. Les badauds en foule humèrent au passage cette
haleine et déjà deux ou trois d’entre eux tombèrent en une pâmoison dont ils ne
relevèrent pas. Croupissantes, les galères repartirent pour Gênes dans les
trois jours mais, à chaque aiguade, elles semaient quelques miasmes sitôt
recueillis.
    La
Provence était belle, sereine et joyeuse, un morceau de choix pour l’épidémie.
En huit jours, celle-ci figea les rires, fana les amours et fit taire les
fifres.
    Grâce aux
forçats de Gênes enrôlés fort à propos, on éleva devant le fléau un mur avec
des pierres et des cadavres qui firent ciment, tant le désarroi était grand.
Mais il eût fallu du monde pour garder ce mur et, avec tout ce qui mourait
chaque jour, de monde on n’en avait point. Ça servait toujours à rassurer les
enfants et ceux qui s’obstinaient à rester en vie. On citait le cas d’un
certain Léouffre à Dauphin qui avait cent ans et avait eu huit enfants et
quatorze petits-enfants, des descendants à ne plus savoir les nommer, et qui
soudain se retrouvait seul, privé de postérité par l’épidémie, seul face au
destin qui lui faisait la nique. Et il avait beau montrer le poing au ciel,
celui-ci en demeurait radieux, couronné de matins où il faisait bon vivre et
où, néanmoins, on trépassait par dizaines. Les jours se levaient prometteurs
sur des cadavres allongés par carrière, devant les maisons, au bord des lavoirs
où le linge, abandonné tout propre, prêt à être essoré, gonflait glorieux et
blanc sur les bassins à l’eau limpide. Il n’y avait de malheur que parmi les
hommes, la nature, elle, ne se lassait pas de renaître en ses splendeurs.
    La peste,
en ce qui concerne Manosque, avait eu d’étranges commencements. Elle avait
jailli au centre de la ville à la faveur du Mardi gras. Tout un peuple fêtait
cette sainte journée tolérée par l’Église du bout de la foi parce que, n’ayant
pu l’extirper de la croyance populaire, elle avait dû l’embrigader parmi ses
légions.
    On avait
servi dans les tavernes du pays force daube qui faisait la réputation du
terroir. Des saltimbanques campaient autour des douves du château. L’un d’eux
élevait des rats savants auxquels il faisait faire des tours de magie. Il en
avait un, dans une cage, dolent et qui refusait depuis trois jours de manger et
de travailler. Et ce fut un rat déjà presque crevé que le montreur jeta hors de
sa cage sous les remparts du Terreau. Le rat, ne sachant où aller mourir, se
jeta vers le plus proche recoin où il faisait chaud. Sous une toile de tente
bleue où brasillaient les lueurs d’un fournil, c’était l’antre qui servait de
cuisine. Les langues là-dedans tonitruaient pour activer le travail. La langue
d’oïl et la langue d’oc encore mal séparées se jetaient des injures à la tête
en les deux idiomes. Les cuisiniers surexcités balançaient dans la daube des
ortolans tout juste plumés qui embaumaient déjà l’air jusqu’à la montée des
Manents, jusque sous la tour de guet où dormaient trois hommes d’armes. Ceux-ci
avaient déposé en faisceau sous la pleine lune leurs cuirasses et leurs casques
en un éloquent colloque.
    Là-bas,
sous un feu d’enfer, cuisait la viande. C’était celle d’un taureau de quinze
ans qu’un seigneur nécessiteux (il y en avait légion) avait remis à son
suzerain contre une dette qui se faisait trop vieille pour durer encore.
    La
seigneurie s’encanaillait doucement, comme on s’enlise dans le sable, à force
de dettes insurmontables. Et l’on voyait des taverniers en tablier bleu devant
lesquels s’inclinaient des personnes de haut parage, jabots de dentelle et
fraises godronnées dont la tête semblait surgir d’une décollation.
    Or, on
avait commis au touillage de la daube un gâte-sauce lequel, au cours de la
journée, avait été meurtri par tant de coups de pied au cul qu’il en avait la
tête sonnante. Ce gâte-sauce tout en remuant le fricot vit un rat titubant qui
progressait sur la corniche de la soupente, ne sachant manifestement où il
allait.
    — Voï !
Un rat blanc ! s’exclama le gâte-sauce.
    En vérité
le rongeur s’était vautré sur une table où l’on façonnait le pain, ce qui
l’avait rendu d’une vilaine couleur blême. Le gâte-sauce halluciné n’eut pas le
temps de crier. Un flop assourdi provint de la daube où le rat pris de vertige
venait de choir.
    Ce rat
était farci

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