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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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une bourrée bien sèche, pour
entretenir la cuisson.
    Lombroso
poussa son cheval vers la cuisine ouverte à tout vent où brasillait un feu
mourant. C’était ici que la daube fumait encore. Il s’en échappait une odeur étrange.
Était-ce celle de la peste ? Lombroso réfléchit une seconde. Non. L’odeur
de la peste ne flotterait pas sur une daube de taureau. Le gonfalonier s’était
sans malice saisi d’une louche et d’une écuelle pour goûter à la sauce.
Lombroso lui porta un coup violent sur l’avant-bras. L’écuelle tomba dans la
daube. À cet instant le squelette d’une main nettoyée de sa chair apparut à la
surface du brouet.
    — Lâche
ça ! cria le peintre. C’est de l’homme !
    Le
gonfalonier terrorisé se signa. Les deux cavaliers frappés de panique
enlevèrent leur monture au galop ; l’étendard de Mantoue claqua au vent du
matin. Ils galopèrent ainsi pendant trois cents mètres avant de serrer le mors.
    Ils
virent devant eux l’étrange rue de l’Équerre. C’était une andrône feutrée d’un
tapis d’immondices immémoriaux. Les chevaux lombards habitués à la propreté
italienne reniflèrent devant ce cloaque. Un mort gisait au milieu, les bras en
croix, parmi les ordures et richement vêtu. Le cheval de Lombroso l’évita
adroitement. Le courant d’air qui soufflait sur la venelle rabattit le gonfanon
sur son porteur lequel immobilisa sa monture.
    Lombroso
était seul à chevaucher. Il se retourna.
    — Eh
bien ! cria-t-il. Tu dois me suivre partout ! L’as-tu oublié ?
Que crains-tu ? Tu portes le Poverello et son génie !
    Il piqua
des deux, emporté par son lyrisme. Les quatre angles droits de la ruelle
vomirent les cavaliers sur un espace qui jetait au visage des hommes une
immense étendue de pays. Ponctuée de quelques feux et d’un brasier à brûler les
cadavres dont la fumée rougeoyait aux rayons du matin, le tertre qu’on appelait
le Terreau laissait voir face à face, mais très loin l’une de l’autre, deux
portes rébarbatives qui se regardaient méchamment. D’un côté c’était un nid de
trente frères carmes qui avaient orné leur couvent d’un portail de seigneur. De
l’autre, la masse trapue du château des Hospitaliers de Jérusalem, suzerains de
Manosque. Là aussi la peste avait fait son œuvre. Deux tas de cadavres qui
paraissaient rivaliser d’importance se faisaient face, inertes, déjà amalgamés.
On ne leur avait même pas enlevé la robe, blanche pour les Hospitaliers, gris
sale pour les carmes. On entendait meugler chez les carmes, moines, ribaudes et
joueurs de dés. Ces frères faisaient leurs saturnales en leur couvent qui
sentait le soufre. C’étaient cadets de petite noblesse à qui les aînés avaient
fermé la porte au nez dès la mort du père et qui clamaient leur désespoir par
la débauche et la simonie.
    Entre ces
frères rubiconds et ceux de Jérusalem dont la foi intransigeante s’accommodait
toujours d’une pâleur mortelle, il n’y avait aucune miséricorde et les seconds,
épiant leurs pareils, guettaient le jour où ceux-là dépasseraient les bornes
pour les envoyer tous au bûcher.
    Le
château trapu était accroupi sur ses douves symboliques car en toute saison
celles-ci ne contenaient qu’un peu d’eau de pluie fort croupie. Il était noir.
Il avait été d’un beau jaune d’or quand on avait extrait du socle de la colline
les blocs de safre dont il était construit à l’économie. Le safre abondait. La
pierre était rare. On avait réservé celle-ci aux assises des remparts.
    Ce
château avait comme un visage. Ses tours brèves s’achevaient en créneaux
édentés. Elles étaient larges, bien assises, attendant quelque assaut de pied
ferme qui n’avait jamais eu lieu.
    Lombroso
croqua les murailles et les deux tas de cadavres dont il s’approcha tant qu’il
put tandis qu’il dut morigéner le gonfalonier pour l’inciter à le suivre.
    Soudain
il perçut un bruit d’horloge qui lui était familier. C’était le pont-levis du
château qui s’abaissait lentement et la herse grinçante qui s’élevait avec ses
pointes menaçantes. À Mantoue de même au soleil levant on entendait ainsi
grincer les portes de la ville qui s’ouvraient sur le trafic paysan.
    Poverello
et même son mentor eurent d’abord la naïve illusion que le château abaissait
ses défenses devant le symbole de Mantoue. Mais alors, au lointain, ils
entendirent poindre l’antienne d’un Ave Maria. Ce chant

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