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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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montait depuis les
entrailles de la ville sans ostentation ni triomphe. C’était un murmure
suppliant et chargé d’humilité. Il enflait cependant et se rapprochait.
    — Chut !
commanda le peintre.
    C’était
une recommandation inutile. Depuis qu’il avait découvert le charnier de
Notre-Dame et ses pénitents avides, la terreur avait levé la parole au
gonfalonier. En revanche le peintre était entré dans la peste avec le plus
grand calme. La divine Italie était depuis longtemps la proie de toutes espèces
d’épidémies. De sorte que, bien mieux qu’en Provence, les sujets qui y avaient
survécu étaient armés pour résister. Le Poverello figurait parmi ceux-ci :
une peste verte qui ne tuait que les enfants l’avait épargné lorsqu’il était au
berceau. Ils avaient été six à guérir dont le duc Gonzague lui-même et, depuis,
ces six plastronnaient à Mantoue sous prétexte qu’ils étaient invulnérables.
    — Chut !
répéta le Poverello impérieusement.
    Ils s’étaient tous deux immobilisés, aux aguets, prêts à toutes les
surprises. On pouvait maintenant suivre distinctement toutes les paroles de
l’antienne :
    Ave Maria
    Virgina martyrum
    Beatrix consolatum !
     
    Le soleil
en biais éclairait le passage, à gauche du couvent des carmes, dans la ruelle
de l’Entrecroix.
    — Ecoute !
commanda le Poverello.
    Le
porte-bannière de Mantoue ouvrit la bouche pour la première fois.
    — On
dirait…, dit-il. On dirait une danse espagnole !
    Alors
déboucha de la ruelle un bataillon de formes noires qui se déployaient en bon
ordre sur l’esplanade.
    — Des
nonnes ! s’exclama le Poverello.
    Il
arracha une tablette au cheval du gonfalonier qu’il poussa hors de portée des
regards, sous l’ombre des deux ormes qui dépassaient la hauteur du château. Il
se mit à grands traits de fusain à dessiner ce bataillon. C’étaient trente-deux
moniales qui battaient ainsi le pavé de Manosque. Elles chaussaient des
sandales de bois, ce qui donnait par les calades sonores l’apparence d’une
danse espagnole à leur marche disciplinée. Quelques-unes portaient en sautoir
des rouleaux en corde de chanvre. À leur tête, sur une ânesse au pas
nonchalant, les précédait de quelques foulées une créature au menton carré,
grande comme un morbier et qui en offrait toute la raideur.
    Les
traits de ces nonnes étaient à la fois farouches et résignés, quelques-unes
étaient belles mais la plupart avaient le visage triste des laides
irrémédiables. Le Poverello se réjouissait de les voir si communes, si
renfrognées, si parfaitement figurantes d’une descente aux Enfers. Il croquait
à grands traits, en jubilant. Les nonnes défilaient devant les cavaliers
invisibles. Elles exprimaient la pauvreté orgueilleuse par toutes leurs
attitudes. L’antienne qu’elles psalmodiaient pour s’encourager à la marche
était machinale. Aucune intonation de ferveur ne la dominait.
    Elles
franchirent ainsi l’esplanade résolument. Le rythme de leurs sandales changea
d’un coup, devint plus sourd. Elles venaient de s’engager sur les planches du
pont-levis. La voûte du château les engloutit d’un seul coup. Leur chant
subissait un coup d’éteignoir. Impulsivement, le Poverello incita son cheval à
les suivre mais celui-ci se cabra soudain devant le vide. C’était le pont-levis
qui s’élevait lentement sur son axe. Le Poverello entendit en même temps ce
bruit familier à Mantoue : c’était la herse qui s’abaissait sur
l’ouverture obscure. Il y eut un bruit de coffre refermé, les derniers
tintements des chaînes rendues à leur liberté après l’effort. Au bord du fossé
profond, le peintre contemplait la face barbare du château des Hospitaliers de
Jérusalem.
    Parfois, échappé à l’érosion, quelque angle du safre d’or étincelait par
mille aspérités au soleil. Au-dessus de la voûte fermée, une inscription en
chiffres arabes était visible : 1220. Elle s’inscrivait au cœur d’une
croix pattée repoussée, celle-là, sur de la vraie pierre.
     
    À ce
moment même, le commandeur Guillaume de Venteyrol avait ouvert pour la dixième
fois le fenestron pratiqué au vitrail de son cabinet. Viendrait-elle ? La
révérende mère Scolastique Pons, prieure du couvent des clarisses, territoire
de Mane, il la connaissait bien. Les frères de Jérusalem n’avaient d’autre
pouvoir sur cet ordre mineur que la profession de la foi. Si la supérieure
jugeait sa

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