Conspirata
tout petit village. Il
pleuvait et c’était l’endroit le plus misérable qu’on puisse imaginer. Il n’y
avait presque personne pour vivre dans un coin pareil. En fait, c’était un tel
trou à rat que c’en était risible. À ce moment, un de mes officiers m’a dit,
pour plaisanter : « Tu sais, même ici, il y a probablement des
brigues pour les charges, des rivalités pour le premier rang et des jalousies
entre les notables. » Et tu sais ce que j’ai répondu ?
— Non.
— J’ai dit qu’en ce qui me concernait, je préférais
être le premier ici que le second à Rome. Et je le pensais, Cicéron, je le
pensais vraiment ; tu comprends ce que j’essaye de te dire ?
— Je crois que oui, répondit Cicéron en hochant lentement
la tête.
— C’est véridique. C’est comme ça que je suis.
— Jusqu’à cette conversation, commenta Cicéron, tu as
toujours été une énigme pour moi, César, mais voilà que je commence peut-être à
te comprendre pour la première fois, et je te remercie au moins pour ton
honnêteté.
Il se mit à rire.
— En fait, c’est carrément drôle.
— Qu’est-ce qui est drôle ?
— Que ce soit moi qu’on chasse de Rome en m’accusant de
vouloir être roi !
César se rembrunit un instant, puis se fendit d’un grand
sourire.
— Tu as raison, dit-il. C’est amusant !
— Bien, fit Cicéron en se levant, inutile de poursuivre
cette conversation. Tu as un pays à conquérir et j’ai d’autres problèmes à
régler.
— Ne dis pas cela ! s’écria César. J’exposais
simplement les faits. Nous avons besoin de savoir où nous en sommes tous les
deux. Tu peux la prendre, cette charge de légat – elle est à toi. Et
tu peux t’en acquitter de la façon qui te plaira. Cela m’amuserait de te voir
davantage, Cicéron… vraiment.
Il tendit la main.
— Allez, la plupart des hommes politiques sont
tellement ennuyeux. Nous qui ne le sommes pas devrions faire équipe.
— Je te remercie pour ta considération, répliqua
Cicéron, mais ça ne pourrait pas fonctionner.
— Pourquoi ?
— Parce que dans ton village, moi aussi je voudrais être
le premier, et comme je n’y parviendrais pas, j’aspirerais à être un homme
libre, et ce qui est pernicieux, chez toi, César – plus pernicieux
que Pompée, plus malfaisant que Clodius ou même que Catilina –, c’est que
tu n’auras de cesse que tu ne nous aies tous contraints à nous agenouiller
devant toi.
Il faisait nuit lorsque nous eûmes regagné la ville. Cicéron
ne prit même pas la peine de remettre la couverture sur sa tête. La lumière
était trop ténue pour qu’on puisse le reconnaître et les gens se dépêchaient de
rentrer chez eux avec autre chose à l’esprit que le destin d’un ancien consul – leur
dîner par exemple, et leur toit qui fuyait, et les voleurs qui pullulaient
chaque jour davantage dans la cité.
Terentia attendait avec Atticus dans l’ atrium , et
quand Cicéron lui eut raconté qu’il avait repoussé l’offre de César, elle
poussa un hurlement de douleur et se laissa tomber accroupie sur le sol, se
couvrant la tête de ses mains. Cicéron s’agenouilla près d’elle et posa son
bras sur ses épaules.
— Tu dois partir maintenant, ma chère, et emmener
Marcus avec toi, lui dit-il. Vous passerez la nuit chez Atticus, ajouta-t-il en
levant les yeux vers son vieil ami, qui acquiesça d’un hochement de tête. Il
sera trop dangereux de rester ici après minuit.
— Et toi ? demanda-t-elle amèrement en se
dégageant. Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas te tuer ?
— Si c’est ce que tu veux… si cela peut faciliter les
choses.
— Bien sûr, que ce n’est pas ce que je veux !
cria-t-elle. Je veux qu’on me rende ma vie !
— Je crains que ce ne soit pas en mon pouvoir.
Cicéron tendit à nouveau la main vers elle, mais elle le
repoussa et se releva. Puis, les mains sur les hanches, elle le foudroya du
regard.
— Pourquoi ? l’interrogea-t-elle, pourquoi fais-tu
endurer un tel supplice à ta femme et à tes enfants alors que tu pourrais y
mettre fin dès demain en t’alliant avec César ?
— Parce qu’en faisant cela, je cesserais d’exister.
— Qu’est-ce que tu entends par « cesser d’exister » ?
Qu’est-ce que c’est encore que cette absurdité grandiloquente ?
— Mon corps continuerait de vivre, mais moi, Cicéron – qui
que je sois –, je serais mort.
Terentia leva
Weitere Kostenlose Bücher