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Conspirata

Conspirata

Titel: Conspirata Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Harris
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se sentiraient gravement insultés si le consul
désigné persistait à entretenir de tels soupçons. Cicéron soupira, écarta la
lettre et tenta de reprendre le fil de ses pensées. Il ne parvint cependant pas
à les agencer en un tout cohérent et, peu avant la tombée de la nuit, il
réclama de nouveau ses bottes et son manteau.
    J’avais supposé qu’il voulait faire un tour au jardin public
voisin, où il se rendait souvent lorsqu’il composait ses discours. Or, quand
nous atteignîmes le sommet de la colline, au lieu de tourner à droite, il fila
vers la porte Esquiline, et je compris avec stupéfaction qu’il avait l’intention
de quitter l’enceinte sacrée pour gagner l’endroit où l’on faisait brûler les
cadavres – lieu qu’en temps normal il évitait à tout prix. Nous dépassâmes
les porteurs et leurs charrettes à bras qui attendaient les clients juste de l’autre
côté de la porte ; puis la résidence officielle massive du carnifex ,
qui, en tant qu’exécuteur des hautes œuvres, n’avait pas le droit de vivre dans
les murs de la cité. Nous finîmes par arriver au bois sacré de Libitine, peuplé
de corbeaux croassants, et nous approchâmes du temple. C’était en ce temps-là
le quartier général de la confrérie des libitinaires : le lieu où l’on
pouvait se procurer tout ce qui était nécessaire aux funérailles, des
ustensiles nécessaires à l’onction des corps jusqu’aux lits de crémation.
Cicéron me demanda de l’argent et alla s’entretenir avec un pontife. Il lui
remit la bourse, et deux pleureuses professionnelles surgirent aussitôt. Cicéron
me fit signe d’approcher.
    — Nous arrivons juste à temps, me confia-t-il.
    Nous devions former un curieux cortège, traversant les
champs de l’Esquilin les uns derrière les autres, les pleureuses devant,
chargées de bocaux d’encens, puis le consul désigné et moi fermant la marche.
Tout autour de nous, dans la pénombre, les flammes des bûchers dansaient, les
pleurs des endeuillés retentissaient et les effluves entêtants de l’encens
flottaient dans l’air – puissants, mais pas encore assez forts pour
couvrir la puanteur de la crémation. Les pleureuses nous conduisirent aux ustrina publiques, où un tas de cadavres sur une charrette à bras attendaient d’être
jetés dans les flammes. Dépouillés de leurs vêtements et de leurs souliers, ces
corps anonymes étaient aussi pauvres dans la mort qu’ils l’avaient été dans la
vie. Seul l’enfant assassiné était recouvert, et je le reconnus à la voile dans
laquelle on l’avait enveloppé et dont les pans avaient été solidement cousus.
Deux préposés au bûcher le jetèrent sans peine sur la grille métallique.
Cicéron baissa la tête et les pleureuses entamèrent une lamentation
particulièrement bruyante, sans doute dans l’espoir d’un bon pourboire. Les
flammes rugissaient et se couchaient dans le vent, et tout fut terminé très
vite : l’enfant avait rejoint le destin qui nous attend tous.
    Je n’ai jamais oublié cette scène.
    La plus grande grâce que nous accorde la Providence est sans
conteste notre ignorance de l’avenir. Si nous connaissions à l’avance l’issue
de nos espoirs et de nos projets, ou si nous savions comment nous sommes
condamnés à mourir, imaginez combien cela gâcherait notre vie ! Au lieu de
quoi, nous continuons de vivre au jour le jour, aussi inconscients que des
animaux. Or toute chose finit par mourir ; aucun être humain, aucun
système, aucune époque n’échappe à cette loi. Tout ce qui est sous les étoiles
doit périr ; la roche la plus dure finit par s’émousser. Rien ne perdure,
sauf les mots.
    C’est en gardant cela à l’esprit, et avec l’espoir sans
cesse renouvelé que je vivrais assez longtemps pour mener à bien cette tâche,
que je vais maintenant vous relater l’histoire extraordinaire de l’année que
Cicéron passa en tant que consul de la République romaine, et ce qu’il advint
de lui pendant les quatre ans qui suivirent – soit un laps de temps
que nous, mortels, nous appelons lustrum , mais qui n’est pour les dieux
guère plus qu’un battement de cils.

II
    Le lendemain, veille de la prise de pouvoir, il neigeait – de
lourds flocons, ceux que l’on ne voit en temps normal qu’en montagne. La neige
revêtit les temples du Capitole d’un marbre doux et blanc et déposa sur toute
la ville un suaire aussi épais qu’une main d’homme. Je

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