D'Alembert
des lenteurs de sa carrière académique, avait confié à d'Alembert son découragement et son ennui.
Laplace resta en France, heureusement pour lui et pour nous, mais l'influence de d'Alembert, à la vue de ses premiers travaux, bien inférieurs pourtant à ceux de Lagrange, était entièrement à son service.
Lorsqu'après la mort de Clairaut, au moment où l'ouvrage de d'Alembert sur la destruction des jésuites faisait beaucoup de bruit et un peu de scandale, le ministère hésita quelque temps avant de lui accorder la pension devenue vacante, à laquelle il avait tous les droits, Frédéric, ne renonçant pas à ses projets, lui écrivait :
«Mon cher d'Alembert,
«J'ai été fâché d'apprendre les mortifications qu'on vient de vous faire essuyer, et l'injustice avec laquelle on vous prive d'une pension qui vous revenait de droit. Je me suis flatté que vous seriez assez sensible à cet affront pour ne pas vous exposer à en souffrir d'autres.»
Et quelque temps après :
«Je suis tenté quelquefois de faire des voeux pour que la persécution des élus redouble en certains pays.
Je sais que ce voeu est en quelque sorte criminel.»
L'intention est claire : si la persécution chassait d'Alembert, des bras à Berlin lui seraient ouverts.
D'Alembert une seule fois eut recours à la bourse de Frédéric, dans des circonstances et sous des formes qui leur font honneur à tous deux.
La santé de d'Alembert alarmait ses amis. Mlle de Lespinasse écrivait à Condorcet :
«Venez à mon secours, monsieur, j'implore tout à la fois votre amitié et votre vertu. Notre ami M. d'Alembert est dans un état le plus alarmant ; il dépérit d'une manière effrayante et ne mange que par raison. Mais ce qui est pis que tout cela encore, c'est qu'il est tombé dans la plus profonde mélancolie.
«Son âme ne se nourrit que de tristesse et de douleur. Il n'a plus d'activité ni de volonté pour rien ; en un mot, il périt si on ne le tire par un effort de la vie qu'il mène. Ce pays-ci ne lui présente plus aucune dissipation ; mon amitié, celle des autres, ne suffisent pas pour faire la diversion qui lui est nécessaire. Enfin nous nous réunissons tous pour le conjurer de changer de lieu et de faire le voyage d'Italie ; il ne s'y refuse pas tout à fait, mais jamais il ne se décidera à faire ce voyage seul, moi-même je ne le voudrais pas. Il a besoin des secours et des soins de l'amitié et il faut qu'il trouve cela dans un ami tel que vous, monsieur.»
Mlle de Lespinasse ne pouvait ignorer la cause véritable de la tristesse de d'Alembert.
«Mon amitié, dit-elle, ne suffit pas à faire la diversion nécessaire.»
C'est son amour qu'il aurait fallu.
Elle lui avait donné le droit d'y compter, et depuis deux ans déjà, tout entière au jeune de Mora, âgé de vingt-deux ans, elle tourmentait d'Alembert, qui ne devinait rien, par ses humeurs fantasques et la dureté de ses refus.
D'Alembert, pressé par ses amis et par ses médecins, se décida à partir.
Sa fortune ne lui permettait pas de faire à l'improviste une aussi grosse dépense ; il écrivit à Frédéric :
«Ma santé dépérit de jour en jour. À l'impossibilité absolue où je suis de me livrer au plus léger travail se joint une insomnie affreuse et une profonde mélancolie. Tous mes amis et mes médecins me conseillent le voyage d'Italie comme le seul remède à mon malheureux état ; mais mon peu de fortune m'interdit cette ressource, l'unique cependant qui me reste pour ne pas périr d'une mort lente et cruelle.
«Vous avez eu la bonté de m'offrir, il y a sept ans, les secours nécessaires pour ce voyage. J'ai recours aujourd'hui au bienfaiteur à qui je dois tant et à qui je vais devoir encore la vie. On m'assure que le voyage, pour être fait avec un peu d'aisance, exige environ 2 000 écus de France. Je prends la liberté de les demander à Votre Majesté.»
Frédéric répondit :
«Mon cher d'Alembert, je trouve votre Faculté de médecine bien aimable.
Ah ! si j'avais de pareils médecins ! Ceux de ce pays-ci ne prescrivent à leurs patients que des gouttes et des drogues abominables.
«C'est une consolation pour moi que ces rois tant vilipendés puissent être de quelque secours aux philosophes ; ils sont au moins bons à quelque chose.
Adieu, mon cher.»
L'ordonnancement des six mille francs demandés accompagnait la lettre.
Le voyage fut interrompu, les deux amis s'arrêtèrent à Ferney.
D'Alembert, un peu mieux portant et toujours
Weitere Kostenlose Bücher