Don Juan
attentions, mais don Juan put se convaincre que jamais il n’entrerait dans son cœur pour y trouver autre chose qu’une fraternelle amitié. Le plus sévère moraliste n’eût rien pu reprocher à Adélaïde, sinon, peut-être, de s’être un peu divertie aux flamboyantes déclarations de don Juan et de les avoir écoutées avec un enjouement qui semblait exclure la sévérité. Tenorio était trop expert pour s’y tromper ; il savait à n’en pas douter que l’amour de la duchesse pour son mari était inébranlable. Mais il était ainsi fait que même convaincu de l’inanité de sa tentative, même dans cette minute où il se leva pour prendre congé et où tout semblait fini, il gardait encore une foi robuste en son étoile, et il s’affirmait qu’il était tout près de la victoire.
La duchesse était debout, devant lui, un peu émue d’avoir à dire adieu pour toujours à ce charmant compagnon qui l’avait sauvée d’une mort à peu près certaine, qui, à part sa lubie amoureuse, s’était montré spirituel et brillant causeur, généreux en ses attitudes de pensée, raffiné gentilhomme en ses façons, fort délicat en ses discours, en somme un parfait cavalier.
Don juan vit très bien cette émotion, et se ramassa pour l’effort suprême. Et lui-même éprouva ce choc d’amour réel qui, parfois, ébranlait sa sentimentalité, ce ne fut pas l’élan d’une passion, ce fut une véritable expansion d’amour capable d’aller jusqu’au dévouement…
– Ainsi, vous partez ? disait la duchesse. Ne pouvez-vous attendre deux jours ? M. de Runes sera assurément de retour ; ce serait un vrai bonheur pour lui de vous témoigner sa reconnaissance.
– Je pars demain, madame, dit don Juan d’une voix altérée. C’est ici mon dernier adieu.
– Oh ! le dernier… vous reviendrez à Paris…
– Non, madame, l’importante affaire qui m’appelle en Espagne m’y retiendra sans doute plusieurs années… et puis… et puis… ah ! laissez-moi vous le dire… je hais ce Paris où je vous ai aimée pour mon malheur. Si je meurs bientôt, tant mieux. Mais s’il faut que je vive, jamais je ne reverrai les lieux où j’ai tant souffert.
Il pâlit. Son regard s’embua. Il sembla se raidir contre l’excès de sa souffrance… il fut sincère ; dans cette minute, il crut vraiment que loin d’Adélaïde il ne lui restait qu’à mourir. Et la duchesse, du fond de son cœur, le plaignit ; elle ressentit elle-même un profond chagrin d’être la cause de cette douleur qu’elle voyait, et d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre enjouée, mais qui tremblait un peu :
– Allons, je veux croire, j’espère, je souhaite ardemment que bientôt le charmant cavalier, le parfait gentilhomme que vous êtes trouve la noble jeune fille digne de lui, le cœur capable de le comprendre…
Il secouait la tête, et elle continuait :
– Cela sera, croyez-le. Si jeune, si généreux, si accessible aux plus beaux sentiments, si séduisant par le charme de la personne et du discours, vous inspirerez certainement un pur amour que vous partagerez… alors j’aimerai comme une sœur celle que vous aurez choisie… tous deux vous viendrez vous asseoir à ma table, et nous rirons ensemble des folies que vous m’avez débitées…
Très bas, il répondit :
– C’est impossible. Ce cœur qui n’a commencé à vivre que du jour où je vous ai connue cessera de battre lorsque je serai loin de vous. Adieu, madame…
Elle tendit sa main. Il fit non de la tête et murmura :
– Quoi ! Pour tant d’amour, vous ne me laisserez pas au moins quelque radieux souvenir avec quoi je puisse vivre et tromper ma douleur ?… Quoi ! Votre main seulement ? Quoi ! Pas même un baiser… un seul ?… un pur et chaste baiser fraternel que j’emporterai sur mes lèvres comme le joyau de ma pauvre vie, la suprême consolation de ma mort ?…
Il se rapprocha vivement, la figure bouleversée, ruisselante de larmes, il ouvrit ses bras, elle voulut reculer… il était trop tard… tremblante de pitié, certaine qu’aucune pensée mauvaise ne pouvait se lever dans le cœur de cet homme qui pleurait, elle parut près de consentir ce baiser, de le consentir comme un acte de reconnaissance et de compassion… dans cet instant même, en un grand miroir placé en face d’elle sur la cheminée, elle vit… ah ! elle vit la porte s’ouvrir, et dans l’encadrement de cette porte apparaître le duc
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