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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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au pied d'un arbuste, il nous fit dire de lui donner trente talari et deux bons fusils.
    Nous répondîmes qu'en d'autres circonstances nous lui aurions peut-être fait un présent avec plaisir, mais que retenus injustement et comme des trafiquants qui se regimbent contre les péagers, nous étions d'autant plus décidés à refuser, que l'endroit était franc de tout droit; qu'au surplus, il était le plus fort et pouvait prendre tout ce qu'il voudrait.
    —À votre aise, dit-il en souriant dédaigneusement, restez où vous êtes.
    Il remonta à mule et partit pour son habitation située à sept heures de marche.
    Persuadés que notre volumineux attirail de voyage nous valait cette avanie, puisque je venais de faire deux fois cette même route sans rencontrer d'obstacle, nous décidâmes de détruire nos bagages. Mon frère se réserva quelques instruments d'astronomie, et nous commençâmes à tout jeter dans les grands feux allumés pour cuire le pain de nos gens. Mais paysans, soldats, porteurs, tous se précipitèrent, arrachèrent nos bagages du feu et dispersèrent les tisons et la braise. Un des porteurs me dit ensuite:
    —Pourquoi en user ainsi? Ces valeurs que vous cherchez à détruire ne sont-elles pas votre seule ressource dans un pays étranger? Dieu confie les richesses à l'homme pour les utiliser et non pour les anéantir sans profit pour personne. Ne craignez-vous pas qu'il ne vous punisse d'abuser ainsi de ses dons? Les contrariétés sont éphémères; quelque occurrence peut vous rouvrir le chemin d'Adwa; vous regretteriez alors d'avoir obéi à votre impatience, et nous, qui mangeons votre pain, nous regretterions de vous avoir laissés faire.
    Malgré ces sages conseils, nous persistâmes dans notre dessein. Donnant aux esprits le temps de se calmer, nous fîmes entasser nos bagages dans notre tente, comme par mesure d'ordre, et j'allumai une mèche communiquant à une caisse de poudre; mais Domingo, que j'avais chargé de voir si personne n'approchait, attira l'attention par sa frayeur; on se rua sur la tente: en un tour de main elle fut déplantée, enlevée comme par un coup de vent, et les effets furent dispersés. Je compris enfin que je jouais le rôle d'un enfant gâté qui, pour se venger de parents trop indulgents, alarme leur sollicitude en tournant sa colère contre lui-même.
    Au bout de quelques jours, la plupart de nos porteurs, considérant l'expédition comme infructueuse, désertèrent les uns après les autres. Ces porteurs sont ordinairement de petits cultivateurs qui, lorsque la récolte a été mauvaise, se louent aux trafiquants pour une somme très-modique. Leur départ soulagea d'autant plus notre bourse que les sauterelles ayant dévasté plusieurs provinces du Tigraïe, le blé était hors de prix. Nous avions rencontré de longues files d'hommes tristes et amaigris, réduits par la famine à émigrer vers l'intérieur, avec leurs enfants, leurs femmes et leurs vieillards. Le paysan tigraïen passe pour être très-attaché au sol, peut-être parce que ses champs exigent plus de labeur que ceux du reste de l'Éthiopie; en temps de disette, avant de se résoudre à émigrer, il épuise sa dernière ressource, il immole son dernier bœuf de labour, sa dernière chèvre, sa dernière volaille, il sustente sa famille de feuilles ou d'herbes cuites dans de l'eau, et ce n'est qu'au dernier degré de misère, qu'il se décide à abandonner son champ pour aller louer ses services dans quelque province moins éprouvée. C'était avec la plus grande difficulté que nous nous procurions la farine nécessaire, et notre infidèle drogman, surenchérissant sur la disette, nous la faisait payer vingt-et-une fois plus cher qu'en temps ordinaire. Nos provisions personnelles étant finies, nous fûmes réduits au régime de nos porteurs.
    Parmi ces derniers se trouvait un nommé Habtaïe: nous ne pouvions nous comprendre que par signes, mais nous nous étions attachés l'un à l'autre, et quand porteurs et muletiers nous abandonnèrent, il resta seul auprès de nous avec le drogman et un garçon de seize ans, natif d'Adwa, nommé Samson.
    Trop peu nombreux désormais pour demeurer campés la nuit, à cause des éléphants, des animaux carnassiers et des voleurs des environs, nous dûmes aller nous établir à 600 ou 800 mètres de là, dans le village de Maïe-Ouraïe. Ce village, situé sur une éminence accotée à une montagne qui s'élève perpendiculairement comme un mur, domine

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