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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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l'arçon; sa lourde javeline était tortuée et sanglante, et sa ceinture également souillée de sang; sa cotte d'armes de mousseline blanche, toute déchirée, se collait en pandeloques sur les flancs de Dempto couvert de boue et d'écume. Comme Monseigneur ne ralentissait pas son allure, Birro lui dit précipitamment, en guise de thème de guerre:
    —Monseigneur, voilà comme tes ennemis sont traités par moi, Birro, ton fils, ton soldat, ton bras, ta javeline! Rappelle-toi que tant que la poussière n'aura pas recouvert mon corps, tant que Birro sera au soleil, il en sera, comme tu vois, de tous ceux qui voudront s'élever contre mon père.
    Puis, décrochant son bouclier et s'inclinant jusqu'à l'arçon:
    —Monseigneur est le bien venu à la victoire, dit-il.
    —Amen! Heureusement, Dieu l'a protégé.
    En nous quittant, Birro reconnaissant le Chalaka Tedjaubasse qui nous suivait péniblement à distance, lui cria:
    —Ah! roncin, toi aussi, tu as voulu trahir tes maîtres!
    J'eus à peine le temps de prévenir Monseigneur; en deux bonds, il fut auprès de son fils, qui, le bras levé, allait fendre la tête de Tedjaubasse.
    —Par ma mort! Birro, laisse donc. Tuer un vieillard!
    Et Birro s'en alla grommelant:
    —Voilà bien mon père! Indulger un vieux fripier d'intrigues comme ça!
    Le Dedjazmatch fit monter le Chalaka sur un des chevaux d'escorte, et le pauvre homme, dont la contenance, dans cette extrémité, avait été très-digne, put se tenir à portée de son protecteur.
    Cependant, les derniers tumultes qui accompagnent l'agonie d'une bataille s'apaisaient. Nos hommes, chargés de butin, descendaient du plateau, poussant devant eux les servantes et les serviteurs de l'ennemi, et l'on emportait nos blessés et nos morts dans la direction du camp qui nous attendait dans la plaine subjacente. En traversant un champ d'orge, nous vîmes sur les épis foulés un blessé couché au milieu de cadavres.
    C'était un bel homme dans la force de l'âge; une blessure à la poitrine et une affreuse mutilation le retenaient à terre. Il se releva avec effort sur son coude, et s'écria:
    —Monseigneur! Que Monseigneur ne passe pas sans s'attrister sur moi! Je suis un de ses hommes, un de ses bons liges. Qu'il voie plutôt: j'ai donné mon corps pour lui, et mon âme s'en va. Que Monseigneur entende ce que j'ai à dire, au nom de saint Michel et de Notre-Dame!
    —Il n'a donc personne pour le relever! dit le Dedjazmatch.
    Et il continua son chemin.
    Le mourant voyant son seigneur passer sans l'écouter, nous enveloppa tous d'un regard effaré; ses lèvres remuèrent encore, mais on ne l'entendit plus.
    Des nuages noirs s'entassaient dans le ciel. En approchant du camp, nous rencontrâmes des troupes de femmes montant au champ de bataille pour s'enquérir de ceux qui leur étaient chers. À la vue du Prince, elles poussaient des cris de joie et agitaient les pans de leurs toges, rappelant l'orarium ou mouchoir que les Romaines agitaient en signe d'applaudissements; elles nous entouraient, embrassaient nos genoux ou enlaçaient de leurs bras le cou de nos chevaux.
    Notre camp n'était encore indiqué que par les bagages; la tente du Prince, la seule dressée, fut bientôt envahie par des hommes de tous les rangs, venus pour partager la joie de leur maître. Nous apprîmes qu'aucun de nos hommes de marque n'était mort et que nos pertes étaient insignifiantes. Beaucoup de chefs ennemis étaient prisonniers; le Lidj Mokouannen, qui commandait l'aile gauche ennemie, avait pu gagner le large, mais il était poursuivi de près par les cavaliers de Birro. Rien ne troublait donc l'allégresse de notre victoire.
    Bientôt éclata un violent orage; les coups de tonnerre se succédaient rapidement, et la pluie transperça la tente. Un des assistants déploya sa toge, et quatre soldats la tinrent comme un tendelet au dessus du Prince. Le Lidj Ilma fut amené devant nous.
    —Dieu t'a heureusement sauvé, mon fils, lui dit le Dedjazmatch. Il le baisa et le fit asseoir auprès de lui. Ce pauvre jeune homme était encore tout interdit et palpitant. Monseigneur lui dit en me désignant:
    —C'est Mikaël; connais-le. C'est mon fils et mon meilleur ami: tu en feras ton ami aussi.
    Mais comme le prisonnier ne cessait de me considérer avec une aversion manifeste, je sortis pour le mettre à son aise et aussi pour revoir mes amis. La boue étant intolérable, j'allai m'asseoir sur mes bagages. De mes cinq soldats, trois ayant été

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