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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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abîmes! Hammar Zorroff! Les mêlées me nomment leur père et je les caresse comme mes enfants, car je suis le Guoscho, le vrai seigneur des batailles! Marchez donc, marchez! marchez!
    Les trois cents cavaliers qui entouraient le Prince débitaient eux aussi leurs thèmes de guerre; les chevaux ne se possédaient plus, et l'infanterie poussait à intercadences régulières un long cri caverneux. Ce mugissement intermittent, sortant avec ensemble de milliers de poitrines, la batterie veloutée des timbales et les notes soutenues et vibrantes des trompettes formaient une ouverture de combat la plus imposante qu'on puisse imaginer.
    Les masses ennemies dévalaient encore la descente, lorsque nous abordâmes la plaine intermédiaire, où les tirailleurs d'Ilma escarmouchaient contre les nôtres; la fusillade pétillait sur toute la ligne. Quelques instants encore, et un cri immense, irrésistible, parti de toutes les poitrines, sembla confondre le ciel et la terre: c'étaient les deux armées qui s'entrechoquaient.
    Tout d'abord, un flottement se manifesta dans notre centre, à droite; le Prince s'y précipita, contint le fléchissement et poussa vigoureusement le deuxième corps dans la mêlée. Je me trouvai dans le centre ennemi que commandait le Lidj Ilma. Sa mine distinguée, sa jeunesse, son bouclier rutilant de vermeil le faisaient reconnaître; il avait l'air attéré et comme déjà frappé de défaite. Je lui criai: Aïzo! espèce d'encouragement et d'aman que les soldats donnent pendant le combat pour rassurer un vaincu, et il me regardait avec stupeur, lorsqu'un de nos cavaliers lui cria en se précipitant sur lui: «Qu'il se rende! qu'il se rende!» Et le jeune prince se découvrit en renversant son bouclier, indiquant ainsi qu'il se rendait.
    Le centre ennemi se débattit encore, mais se morcela devant les nôtres. À notre aile droite, un instant enveloppée, l'infanterie compacte de Birro se maintenait solidement, et Birro lui-même, à la tête de ses cavaliers, prenait l'ennemi en flanc et le refoulait. Notre aile gauche rompue cédait à une charge impétueuse exécutée par un millier environ de cavaliers; mais ceux-ci voyant que le centre de leur propre armée ne tenait plus, tournèrent bride et s'enfuirent en culbutant les rangs de leur infanterie. On se bataillait encore par ci, par là, mais notre victoire était désormais assurée. Les fuyards tâchaient de regagner les hauteurs d'où ils étaient descendus en ordre si imposant, et nos cavaliers commençaient la poursuite. Je pense qu'au centre, la mêlée n'avait pas duré plus de dix minutes.
    Je retrouvai le Dedjazmatch; son escorte n'était plus que de huit cavaliers: tout le reste s'était dispersé pour courir après le butin et les fuyards. Le Prince allait au pas; son cheval était pantelant. Quant à lui, la javeline sur l'épaule et le maintien toujours calme et haut, il arrêtait les violences désormais inutiles de ses soldats vainqueurs.
    —Déjà fini? lui dis-je; Monseigneur est le bien venu à son succès!
    À cette formule consacrée, il répondit selon l'usage:
    —Amen; c'est par ton Dieu!
    Il venait de croiser le Lidj Ilma qu'on emmenait prisonnier, et il lui avait donné l'aman, assurance qui prenait une autre valeur dans sa bouche que dans la mienne. Nous trouvâmes un détachement ennemi d'environ cent trente rondeliers qui se rendirent prisonniers au Dedjazmatch, et un de nos cavaliers fut détaché pour les escorter jusqu'au camp. Plus loin, un homme à cheveux blancs, sans armes et courant effaré, vint s'incliner devant le Prince qui, reconnaissant en lui le Chalaka Tedjaubasse, un des chefs les plus importants de la maison de Conefo, le rassura par la formule d'usage: «Heureusement, Dieu t'a sauvé, mon frère!» Quelques années auparavant, le Dedjazmatch, réfugié à la cour du Dedjadj Conefo, avait contracté des obligations envers ce Chalaka, qui, avant la bataille, avait un instant laissé espérer à Birro qu'il se joindrait à lui.
    —Que Monseigneur me protége à cette heure, dit-il, car je dois avoir bien des ennemis. «Aïzo! lui dit le Prince; tiens-toi auprès de nous jusqu'au camp.»
    Birro survint; il était seul et il se mit à galoper en rond devant nous, en criant:
    —Birro! Birro! l'esclave de Guoscho! Birro, le père de Dempto! de l'isabelle!
    Le teint assombri, les lèvres desséchées, la voix cassée, il paraissait harassé, et il avait l'air d'un criminel. Son bouclier pendait à

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