Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
de quelque soldat à tournure martiale, elle lui disait:
«Je suis ta sœur, moi! ton amie; ne rugis pas encore, ô mon léopard, tu me fais peur! Cache-moi ta javeline dans les côtes d'un ennemi.»
Un trouvère chantait:
«Lâches, retirez-vous; c'est l'heure des mâles! fils de la femme, arrière! restez aux bagages, lèchez écuelles et marmites, et ne troublez pas le banquet des vautours, la fête des véritables fils d'hommes! Ô mes lanceurs intrépides, mes cavaliers ailés, faites vos trouées, frayez la route à notre seigneur et roi Guoscho; il veut passer et repasser à travers cette peautraille là-bas; car saint Jacques lui a fait signe. Allez, mes pourvoyeurs de chacals et d'hyènes! Courage, mes entêtés, mes dompteurs d'hommes! Ouvrez les sources sanglantes! À vous les viandes de choix, et vous boirez à plein hanap l'hydromel des braves!»
Quelque soldat lui criait:
«Ho! là-bas! croque-lardon, mâche-laurier, écarquille ton œil, dresse ta crête et regarde-moi bien; je vais te donner matière à coqueriquer tes vers tout le reste de tes jours!»
Ou bien:
«En voilà assez; rimailleur, allumeur de combats! Vois-nous faire seulement et garde bien les servantes!»
Le Dedjazmatch était encore assis sur son alga à la porte de la tente; il parcourait d'un regard préoccupé les lignes de ses troupes, la position de l'ennemi et les terrains intermédiaires. Devant lui, une trentaine de chefs, debout, appuyés sur leurs javelines et les yeux suspendus aux siens, attendaient ses derniers ordres. Les gouttes de sueur qui, malgré la fraîcheur de l'air, perlaient sur son front, donnaient à connaître sa violente contention d'esprit; néanmoins, comme toujours, sa contenance était digne et mesurée. Ymer Sahalou vint le prévenir que l'ennemi s'établissait en force sur notre gauche, à couvert d'un bois; et au moment de repartir, il me fit signe d'approcher:
—Tu es seul, dit-il, viens te ranger avec moi; mais préviens Monseigneur.
Je passai derrière l'alga; le Prince ne m'entendit pas, et je me permis de lui toucher le coude. Il se retourna en fronçant le sourcil, mais il me dit en souriant et avec le calme d'un entretien ordinaire:
—Non, tu resteras avec moi; n'est-ce pas le moment de me garder?
Et d'un signe de tête il congédia Ymer, qui repartit au galop en disant: «Que Notre-Dame nous réunisse ce soir!»
Il pouvait être deux heures après midi; le soleil était radieux, le ciel sans nuage, l'air embaumé, et la campagne toute souriante, en fête du printemps.
Nos phalanges désormais au complet s'avancèrent en masse à une centaine de mètres plus loin, et s'alignèrent au pied d'une montée parsemée de buissons et de blocs de roches qui conduisait au plateau couronné par l'armée ennemie. À mi-chemin, un large ressaut formait une plaine moitié couverte de moissons d'orge, et bornée sur notre gauche par un petit bois qui s'étendait jusqu'au plateau.
Monseigneur monta à cheval, et suivi seulement de son servant d'armes, de deux autres cavaliers et de moi, il parcourut notre front de bataille.
Ymer Sahalou commandait notre aile gauche, Birro l'aile droite et Monseigneur le centre. Les fusiliers disposés en tirailleurs se tenaient à une dizaine de mètres en avant du front de bandière, composé de rondeliers, formés sur une profondeur qui variait de douze à vingt hommes. Les cavaliers, selon la nature du terrain devant eux, se tenaient en pelotons ou en ligne, mais sans ordre régulier; les chefs et les notables étaient presque tous au premier rang. Notre aile gauche comptait environ sept mille hommes; supposant que l'ennemi profiterait du bois pour le prendre par son flanc gauche, Ymer Sahalou avait formé son infanterie en trois corps échelonnés; les deux derniers avaient ordre d'obliquer à gauche et de façon à s'assurer du bois, pendant qu'avec le premier corps il irait droit à l'ennemi. Il avait massé sa cavalerie, forte d'environ huit cents chevaux, sur sa droite, en arrière, afin qu'elle pût au besoin appuyer notre centre, séparé de l'aile gauche par une distance d'environ cent vingt mètres.
Notre centre était composé de deux masses profondes d'infanterie, à environ quatre-vingts mètres l'une devant l'autre, flanquées sur la droite d'un millier de chevaux. Une réserve d'environ six cents fantassins et d'autant de cavaliers, sous le commandement du premier Sénéchal, avait ordre de suivre en se maintenant à une portée de fusil.
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