Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
Éthiopiens font de leur toge un tapis, une courte-pointe, une tenture ou une portière, comme le rapporte, pour les Grecs, Athénée; de même qu'Agamemnon, ils s'en servent comme de signal; elle leur sert à recueillir l'enfant à sa naissance; ils n'ont d'autre couverture durant leur sommeil et un pan de toge leur sert de linceul, comme il est dit dans Homère et Xénophon. Pour exprimer l'accueil le plus sincère et le plus dévoué, ils ont des expressions qui signifient étendre la toge le long du chemin sous les pas de celui qu'ils veulent honorer, rappelant ainsi les récits évangéliques de l'entrée du Sauveur dans Jérusalem. Veulent-ils courir, ils abandonnent leur toge ou l'enroulent autour du corps, comme il est rapporté dans l'Illiade. De même que chez les Romains et les Grecs, leur toge sert aux deux sexes; la femme de Phocion portait celle de ce grand homme. Les ménages éthiopiens, même aisés, en usent de même lorsque les époux sont unis, et le refus de Xanthippe de se vêtir de la toge de son immortel époux, suffirait seul aux yeux de tout Éthiopien pour donner la mesure de son caractère acariâtre et de la désunion qui affligeait le ménage de Socrate. Comme les Romains, ils ont soin, aux jours de fête, de revêtir une toge fraîchement lavée: et lorsqu'ils ont à répondre à une accusation grave, ils comparaissent avec une toge sale et les cheveux en désordre. Enfin, la célèbre statue d'Aristide de la collection Farnèse, les personnages qu'on voit sur les vases étrusques, les bas-reliefs représentant des femmes grecques ou romaines reproduisent exactement diverses façons de se draper des Éthiopiens modernes. La statue de l'Apollon jouant de la lyre, du Musée du Louvre, rappelle en tout, depuis la pose jusqu'aux plis de la toge, quelque trouvère éthiopien jouant devant ses maîtres. La statue de Polymnie reproduit également, avec une exactitude saisissante, quelque jeune Éthiopienne de bonne maison; de même les statues de Thalie, de la Vénus d'Arles et de Plotine. La statue d'Adorante, la toge ouverte sur la poitrine, ressemble en tout à une Éthiopienne qui aborde un ami. La toge éthiopienne à liteaux, celle qui est le plus universellement portée, ne serait peut-être que la toge-prétexte des anciens. D'après la tradition des Éthiopiens, cette toge n'était permise jadis qu'aux principaux magistrats, aux ecclésiastiques, aux hommes de marque et aux enfants de maison riche; on sait qu'à Rome, l'usage de la toge-prétexte était à peu près le même.
Les Éthiopiens, comme nous l'avons dit plus haut, quittent leur toge pour les travaux qui exigent un grand déploiement d'activité; ils la déposent pour combattre ou l'enroulent autour du corps, s'ils prévoient qu'ils ne reviendront pas à l'endroit où s'apprête la lutte; et ils s'encapuchonnent et s'enveloppent dans ses plis pour la nuit, après avoir ôté leurs vêtements de dessous.
Ils ont différentes façons de draper leur toge, selon qu'ils se présentent à l'église, devant un tribunal, devant un supérieur ou devant un égal, lorsqu'ils demandent justice ou parlent devant telle ou telle assemblée, lorsqu'ils se joignent à une réunion de deuil. Ils se découvrent la poitrine en partie pour répondre à un salut et manifestent, en se drapant de telle ou telle façon, le dédain, l'éveil, l'abandon de soi-même et les principaux sentiments qui agitent le cœur de l'homme. Souvent des accessoires identiques inspireront l'homme de la même façon, et sans avoir jamais entendu parler de la fin de César, plus d'un Éthiopien s'est couvert le visage d'un pan de sa toge, en mourant sous le fer d'assassins.
Je ne m'étendrai pas sur les avantages et les inconvénients d'un régime d'habillement si différent de celui qui est adopté en Europe; ils se déduisent naturellement de cette considération que l'habillement des peuples européens est composé de pièces façonnées par les ciseaux et l'aiguille pour des portions déterminées du corps, au lieu que le vêtement des Éthiopiens consiste principalement en pièces d'étoffe rectangulaires, susceptibles de s'adapter successivement à toutes les parties du corps. Ce dernier régime vestimental favorise bien plus que l'autre le langage du geste, si naturel à l'homme, langage que les anciens avaient soumis à des règles et porté à la hauteur d'un art, accroissant ainsi la puissance d'expression de la pensée, que les langues humaines sont si
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