Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
ilmorma paraît avoir refoulé dans leurs kouallas les Simitchos, qui parlent une langue très-voisine de celle d'Afillo, les Konfals, dont on ne connaît guère que le nom, les Kotelets, dont l'origine et les affinités sont inconnues, et peut-être les Tokquerouris, qui sont une vraie pierre d'achoppement pour l'ethnographie éthiopienne. Toutes les nations ci-dessus mentionnées sont de race rouge; mais sur la rive droite de l'Abbaïe, et bornés à l'Est par les hernes des Aouawas ou Agaws, vivent les Gouinzas, qui sont de véritables nègres. Sur la rive gauche de la même rivière, sont les Négayas, qui, bien que nègres aussi, sont peut-être complètement distincts de ceux qui viennent d'être nommés. Les Guinjars ou habitants de la Nubie, d'origine arabe et parlant encore un arabe corrompu, étaient autrefois, comme partiellement encore aujourd'hui, tributaires des chefs des deugas éthiopiens. En suivant vers l'Orient les hernes de l'Armatcho, en traversant la rivière Gouangué ou Atbara, les cours d'eau du Walhaÿt, qui finissent au Takkazé, on arrive chez ces tribus curieuses, qui, nègres pour les uns et rouges pour les autres, se divisent en Naras, Barias, Marias, noms qui représentent autant de peuplades indépendantes que de langues. Du reste, chacune des peuplades mentionnées dans cette énumération a une langue tout-à-fait distincte; il en est de même des Bidjas et Beni-Amer, qui ont obéi au roi d'Aksoum jusqu'au jour où le fanatisme musulman fit massacrer à Saouakin la grande caravane de chrétiens éthiopiens qui se rendait à Jérusalem. Les Bidjas sont les voisins des Tigrés, et on arrive ainsi au point d'où nous sommes partis. Dans l'intérieur de la vaste enceinte qui vient d'être tracée, vivent des restes de nations antiques, qui conservent encore des langues et même des religions distinctes, car, comme il a été dit plus haut, le travail de fusion qui plaît tant en Europe semble n'avoir jamais été du goût des Éthiopiens. Ainsi l'on trouve les Asguidés qui parlent encore le guez ou langue sacrée, qu'on ne parle plus sur le haut deuga; les Bilènes, identiques peut-être avec les Blemmyes des Romains; les Kamtas, qui perpétuent près du Lasta une des plus belles races de l'Afrique; les Gafates du Wadla, qui n'ont conservé de la langue antique d'autres vestiges que des chansons officielles, les Gafates du petit Damote, le Falacha et Quimante du Dambya, et les Sinitchos de la rive gauche de l'Abbaïe. Si l'on joint à tous ces noms de tribus ou de langues, les Tegraïens, les Amaras et les Ilmormas, l'on aura une idée sommaire de la diversité des sujets de l'ancien Empire éthiopien.
Avant de terminer cette description d'un pays encore peu connu, malgré tous nos efforts, il est bon d'insister sur un trait physique qui domine sur toute la partie occidentale et septentrionale de cette longue ligne de frontières. Là, les hernes n'ont pas été créées tout-à-fait par le génie de conquérants stupides: si ces hernes sont désertes, c'est qu'elles sont, aujourd'hui du moins, inhabitables; c'est qu'au milieu d'une végétation luxuriante, foulée seulement par la bête féroce ou par les rares caravanes de hardis trafiquants, des influences mystérieuses donnent, pendant dix mois de l'année, la mort aux voyageurs. En attendant que les hommes de l'art puissent aller savoir, sans y périr eux-mêmes, quel genre de maladie attend l'être humain qui traverse ces hernes, même en courant, on se bornera à émettre l'hypothèse que cette insalubrité a dû aider les Éthiopiens à résister aux Musulmans des kouallas et à garder les trésors sacrés de leurs libertés et de leur foi chrétienne.
Comme on doit le pressentir, la configuration de l'Éthiopie, formée de contrées d'altitudes si différentes: la température fraîche et uniforme de ses deugas ombreux, fertiles et si longtemps verdoyants; la froidure des contrées dites tchokés; la température brûlante des kouallas, dont la végétation luxuriante alterne avec la stérilité et la sécheresse la plus extrême; l'atmosphère tiède et voluptueuse qui caresse les woïna-deugas, où les villes surgissent de préférence, comme pour convier les compatriotes d'altitudes si opposées à s'entrevoir commodément; les variétés d'habitudes alimentaires et autres; enfin, l'action de climats si opposés, doivent, à la longue, influer de telle sorte sur le physique et le moral des habitants, que malgré une
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