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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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leur flore et leur faune tiennent en partie du koualla et en partie du deuga. Les habitants de ces dernières contrées ne s'adonnent qu'à l'agriculture, à la guerre, à la chasse ou à l'élève des troupeaux. Les natifs des Waïna-Deugas s'adonnent de préférence aux métiers, aux industries et au commerce; ils sont peu enclins à la vie militaire, et professent du dédain pour la condition du laboureur. Les musiciens, les trafiquants, les avocats, les histrions, les bouffons, les délateurs de profession, les usuriers, les professeurs de grammaire et de controverse religieuse, sont en général natifs des Waïna-Deugas; c'est là que la langue est parlée avec le plus de pureté; mais les professeurs d'histoire, de droit et de théologie, viennent des kouallas et surtout des deugas. Les habitants des Waïna-Deugas sont avenants mais peu hospitaliers, sceptiques, inconstants, paresseux, moins irascibles, moins dévoués à leurs croyances, à leurs opinions ou à un parti politique, moins respectueux envers l'autorité paternelle que les habitants du deuga ou du koualla; ils sont efféminés, enclins aux factions, très-rarement rebelles et observant plutôt les pratiques extérieures de la religion que ses préceptes fondamentaux. Les chefs et les grandes familles ne négligent rien pour flatter ces populations intermédiaires, mais comptent peu sur leur dévouement; ils regardent le Waïna-Deuga comme la proie la plus belle, le koualla ou le deuga, comme la base la plus sûre de leur puissance. Dans les contrées Waïna-Deugas, la richesse consiste principalement en argent et en biens-meubles; l'affluence des produits des kouallas et des deugas y maintient une abondance presque toujours égale, malgré les exactions des hommes de guerre attirés par les ressources et les plaisirs qu'offrent les villes. Les Éthiopiens sont remarquables par leur curiosité, leur esprit critique et leur connaissance des lois. Les habitants des Waïna-Deugas, plus curieux et plus frondeurs que les autres, sont aussi plus au courant des ressources de la loi et plus enclins à y faire appel. Leur moralité est aussi de beaucoup la plus relâchée. Tous sont très-sensibles à la prosodie, au beau langage et à la poésie; ils admirent, avant tout, l'homme brave, intrépide et l'homme vraiment religieux; mais le plus sûr moyen de les intéresser et de gagner leur cœur, est de parler avec esprit et élégance. Malgré cette disposition, ils ont compris sous un seul nom appellatif les trouvères, les musiciens, les chanteurs, les bouffons, les grotesques, les mimes, les danseurs de chica ou de vaudoux, les hilarodes, les bardes, tous ceux enfin adonnés au gai savoir, et ce nom est regardé comme injurieux et diffamatoire; ils ne l'appliquent pas au poète auteur ou chanteur de poésies religieuses, composées presque toujours en guez ou langue sacrée, à celui qui exécute des danses religieuses, au soldat coryphée, qui chante exclusivement des chants de guerre, et à ceux qui, aux funérailles, chantent ou composent des thrénodies. On remarque que les trouvères natifs du Waïna-Deuga font de préférence des couplets et distiques gnomiques ou épigrammatiques, des priapées, des facéties, des farces et des compliments; ceux des kouallas et des deugas chantent ordinairement le mieux la guerre, la vie agreste, les faits héroïques et les funérailles; les premiers passent pour savoir le mieux chanter l'amour, les seconds ont la réputation de savoir aimer le mieux et d'être moins ingénieux à le dire.
    Les familles des deugas et des kouallas s'allient très-souvent entre elles; il leur paraît sage d'appuyer à la fois la prospérité d'une maison sur les chances de fortune qu'offrent les hautes et les basses contrées. Malgré ces relations intimes, par l'effet sans doute de cette tendance qu'ont les hommes à critiquer tout ce qui les différencie, l'habitant des deugas a converti en épithète injurieuse le mot désignant l'habitant des kouallas, celui-ci lui riposte par une épithète analogue, et l'un et l'autre s'y montrent on ne peut plus sensibles. Sous ce rapport, l'homme du Waïna-Deuga se regarde comme le plus heureusement né, et il raille le natif du koualla aussi bien que celui du deuga, celui-ci, de ce qu'il est né trop haut, celui-là, de ce qu'il est né trop bas. Cependant, quoique sa bouche déprécie ceux qui ne naissent pas de plain pied avec lui, il reconnaît au fond leur supériorité; il cherche à

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