Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
fortin armé de quatre pièces de 24 et d'une de 12; puis vient un espace nu et stérile, où se trouvent quelques citernes, la plupart en ruines, qui se remplissent en quelques heures sous des pluies annuelles, plus abondantes que régulières. Le cimetière musulman est du côté du nord; les païens et les chrétiens sont enterrés dans le petit îlot voisin de Touwa-Ihout. Près du cimetière musulman, s'élève une mosquée à double dôme, nommée Cheik el Hammal, où l'on reconnaît le droit d'asile à tout homme, même chrétien ou païen, qui, en s'y réfugiant, y a allumé une bougie. Selon les Éthiopiens, cet édifice est l'ancienne église dédiée à la Vierge Marie et bâtie par leur premier apôtre Frumentius, dit par eux Abba Salama. Lorsque Moussawa, enlevée à leur empire, tomba sous la loi musulmane, l'église fut convertie en mosquée, et les musulmans lui conservèrent son droit d'asile institué par son fondateur chrétien. La moitié de la partie occidentale de l'île est couverte de maisons, ou pour mieux dire de grandes huttes formées de châssis revêtus de fortes nattes en feuilles de palmier, et dont la toiture est le plus souvent recouverte de chaume. Les habitants sont tous marchands; les plus riches ont de grandes cours, où les trafiquants qu'amènent les caravanes viennent déballer leurs marchandises. Ces cours contiennent souvent un ou deux petits bâtiments construits en pierre, bas, carrés et sombres, qui servent de magasins.
Comme en Grèce, dans l'antiquité, chaque trafiquant, à son arrivée dans l'île, est tenu de choisir un habitant qui lui sert de patron, préside à ses transactions et perçoit de légers droits. Durant les deux ou trois mois dits d'hiver, seule époque où quelque fraîcheur se fasse sentir, les indigènes aisés habitent des maisons en pierre, à un étage; ils vivent le reste du temps sous leurs huttes de nattes, qu'ils construisent quelquefois sur des pilotis plantés dans la mer afin de jouir des rares brises de l'été. La marée, qui ne monte pas au delà d'un pied, et les vagues, qui ne sont que de légères ondulations, n'incommodent aucunement ces humbles demeures. Comme les bêtes de somme n'entrent pas à Moussawa, la boue et la poussière y sont très-rares. Le gouverneur habite une assez grande maison en pierre, à un étage, et couverte d'une terrasse encombrée de huttes en nattes destinées à ses femmes. Cette maison contient la salle du Divan, où il siége presque toute la journée; elle longe une petite place informe qui s'étend jusqu'au débarcadère, situé au nord de l'île et défendu en apparence par une demi-douzaine de canons en mauvais état. Le port, protégé contre les vents du sud par l'île même, et de ceux du nord par le cap Abd el Kader, a vingt pieds d'eau et un bon fond d'ancrage. Vis-à-vis le débarcadère et à l'O.-N.-O. se trouve le cap Guérar, jetée artificielle, longue d'une centaine de mètres et attenant à la terre ferme à 500 mètres environ de l'île; c'est par là surtout que Moussawa communique avec le continent; c'est par là aussi que la plupart des habitants aisés passent chaque soir en se retirant à Ommokoullo, village composé de huttes éparses et situé à une heure de la jetée de Guérar. Ils s'y rendent pour respirer un air qu'ils disent plus salubre et pour y être plus à l'aise que dans leurs demeures de l'île, où, à cause de la sonorité de l'atmosphère et de l'agglomération des maisons, ils ne peuvent presque rien cacher de leurs discours ni de leurs actions les plus intimes; à la pointe du jour, ils reviennent dans l'île pour leurs affaires. Les indigènes évaluent à 1,800 ou 2,000 âmes la population de l'île; aux époques des arrivées des caravanes, cette population s'accroît souvent de plus de moitié. Le sol nu et calciné réverbère la chaleur et la rend si intense que les indigènes même suspendent les affaires vers le milieu du jour; les rues sont alors désertes. Comme l'eau des citernes est insuffisante, les gens de Dohono en apportent journellement au moins 2,000 outres, environ 700 hectolitres, mais cette eau est saumâtre et désagréable pour un Européen; les gens aisés font venir leur provision du village d'Ommokoullo. Dans le bazar, on entend parler la langue indigène ou kacy , l' arabe , l' afar , le bidja , l' amarigna , le tigré , le saho , le galligna , l' hindoustani , le skipitare et le turc , sans compter les langues plus nombreuses
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