Druides et Chamanes
Cûchulainn sort vainqueur du combat, et il faudra l’intervention, d’ordre magique, du héros Fergus, qui a été l’un des pères nourriciers de Cûchulainn, pour que l’interdit qui pèse sur cet endroit soit levé.
En somme, par la pose de la fourche au milieu du gué, Cûchulainn a sacralisé le territoire des Ulates en en faisant l’équivalent d’un monde féerique, sinon de l’Autre Monde lui-même. Cette histoire épique autant que mythologique n’est pas sans faire penser à un épisode des guerres gauloises relaté par Tite-Live dans son livre IV, épisode dont l’historicité est plus que douteuse. En fait, il semble que ce soit un doublet de l’aventure de Manlius Corvinus, tout au moins dans son début, où l’on voit un même Gaulois géant provoquer les Romains, mais cette fois-ci sur un pont qui sépare les deux armées. Cela n’a rien d’extraordinaire en soi, sinon ce qu’en dit Tite-Live : « un pont qu’aucune armée ne rompait pour éviter de montrer ainsi sa crainte ». C’est donc un pont symbolique. À la fin, un certain Titus Manlius (qui est peut-être le même que Manlius Corvinus) accepte de combattre le géant gaulois et le tue : « Au cadavre gisant, il ne fit d’autre affront que de le dépouiller de son collier. Tout sanglant, il le passa à son cou. » C’est ainsi que Manlius mérita son surnom de Torquatus (de torquae , collier celtique par excellence).
Ce combat sur le pont et la prise du torque sont des éléments révélateurs. Le Gaulois géant est une sorte de Cûchulainn qui a sacralisé le domaine des siens et qui s’en présente le défenseur. Il est vaincu et, à ce moment-là, son vainqueur s’empare de son collier qui est le symbole même de la puissance dans toute la tradition celtique. Il y a inversion des rôles : c’est maintenant Manlius Torquatus qui est le gardien du pont ou du gué et qui est habilité à le faire traverser ou non.
Il en sera de même dans un autre récit irlandais connu sous le titre de Siège de Drum Damghaire : il s’agit là d’une guerre entre le roi du Munster, Fiachna, et le haut roi d’Irlande, Cormac mac Airt. Cette guerre s’enferre dans la confusion la plus totale ; aussi les deux rois font appel à leurs druides respectifs pour tenter de venir à bout de l’adversaire. Et ce sera alors une série de batailles proprement magiques sur le gué d’une rivière qui sépare les deux camps, batailles toutes plus extraordinaires les unes que les autres, mais dont les composantes chamaniques ne font aucun doute.
9. Métamorphoses et combats de Druides
Ce « feu intérieur » qu’on attribue au chamane et à tout être humain ayant subi une initiation de type chamanique peut être inné chez certains héros prédestinés. Dans ce cas, on dira que ce sont les « esprits » qui ont fait le choix d’un « élu » et l’ont envahi pour le conduire à maturité. Cela fait évidemment penser, dans le cadre du christianisme, à la vocation sacerdotale, c’est-à-dire à l’appel de Dieu. Mais ce feu peut s’acquérir par des méthodes plus réalistes qui réveillent dans le corps certaines possibilités oubliées de l’esprit et du corps : les techniques du yoga sont de cet ordre, et elles permettent, par des moyens naturels, d’atteindre un état de conscience supérieur. Et puis, enfin, par l’absorption de certaines substances, qui ne sont pas forcément hallucinogènes, il est possible de parvenir à un haut degré de connaissance permettant une modification complète de l’être. Ainsi peuvent s’expliquer les « métamorphoses » qu’on prête aux chamanes et aux druides, ainsi qu’à certains héros des épopées mythologiques.
C’est ainsi que Finn mac Cool, le roi des Fiana d’Irlande, après un séjour chez un forgeron qui lui donne une épée magique et lui fait épouser – temporairement – sa fille, obtient la connaissance de tous les secrets du monde en mangeant un saumon qui ne lui était d’ailleurs pas destiné {148} . Il faut dire que le saumon, poisson qui « remonte aux sources », est, dans la tradition celtique, le détenteur symbolique de la mémoire des temps d’autrefois, lorsque la Terre était encore reliée au Ciel et que le message primordial était encore compris par les humains. Mais c’est aussi par l’absorption d’une certaine substance que le barde gallois semi-légendaire Taliesin, personnification même du druidisme, obtient cette sagesse
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