Druides et Chamanes
du poulain.
Mais à peine a-t-il enfourché l’animal que celui-ci se met à galoper et se précipite dans un étang. Et, « à peine avait-il touché l’eau que le poulain se transforma en un poisson frétillant ». Le diable, survenu sur ces entrefaites, se change en loutre et poursuit le poisson, lequel se métamorphose ensuite en oiseau et se réfugie enfin dans la chambre d’une jeune fille où il devient un anneau d’or.
Le diable arrive alors et veut acheter l’anneau que la jeune fille, à laquelle le jeune homme a expliqué la situation, a passé à son doigt. Elle refuse obstinément, et le père demande de lui prendre l’anneau de force. Mais celui-ci tombe et se transforme en treize grains de blé noir qui s’éparpillent sur le sol. Le diable se change en poule noire et commence à dévorer les grains ; mais le treizième de ces grains se transforme alors en renard et dévore le diable sous sa forme de poule {150} . Conclusion plaisante, certes, mais qui n’altère en rien le schéma du conte primitif. D’ailleurs, la Saga de Koadalan , récit populaire de la région de Tréguier, contient la même trame : poursuivi par le sorcier et ses deux complices qui ont pris l’aspect de musiciens. Ceux-ci demandent à acheter l’anneau d’or que la jeune fille a passé à son doigt, mais elle refuse, et l’anneau qui tombe se change alors « en un grain charbonné dans un grand tas de froment qui était dans le grenier du château. Aussitôt les trois autres devinrent trois coqs qui se mirent à chercher le grain charbonné dans le tas de froment. Mais le grain charbonné devint un renard, et le renard croqua les trois coqs {151} ».
Ce mythe des métamorphoses successives et de la poursuite qu’elles engendrent semble avoir pénétré en profondeur la mémoire celtique, car on en découvre des réminiscences un peu partout, même dans des chants populaires sans prétention, tel celui qui a été recueilli au début du XX e siècle dans le Morbihan et dans le Finistère, dont voici une des versions : « Une jeune fille était désirée de son amant. Il disait : Enfin, jeune fille, il faut nous marier. – Je suis trop jeune, disait-elle ; en fin de compte, je préfère aller lièvre dans la lande plutôt que de me marier. – Alors, dit-il, je me ferai chasseur et je t’attraperai. Et, le lendemain matin, il s’en alla chasser et l’attrapa. La jeune fille lui dit : Je vais me faire poisson dans l’eau. Il lui dit : Je me ferai pêcheur et je t’aurai. Il s’en alla pêcher et il la prit. Elle dit : Je vais me mettre malade dans mon lit. Il répondit : Je vais me mettre prêtre et j’irai te confesser. J’aurai celle que j’aime. Elle dit : Je vais me mettre morte et enterrée. – Alors, dit-il, je me ferai saint Pierre en Paradis, et je n’ouvrirai pas la porte avant d’avoir vu mon amie. Et c’est ainsi qu’ils se marièrent {152} . » Cette petite histoire, qui est vraiment une « bluette », témoigne en tout cas de la permanence du thème.
Dans les récits les plus anciens, contrairement aux contes populaires qui ont subi, qu’on le veuille ou non, l’influence du christianisme et d’une certaine conception moderne de la non-violence, on a pu remarquer une abondance de détails qui mettent en relief des luttes inexpiables entre différentes composantes des sociétés humaines, et même des peuples dits féeriques. Il y a de l’agressivité dans l’air, et les descriptions de combats, sont toujours développées à l’extrême, et jusqu’à l’exagération la plus folle. Il en est de même dans les traditions d’origine chamanique et, comme l’écrit Mircea Éliade ( Le Chamanisme , p. 394), « les éléments guerriers qui ont une grande importance dans certains types de chamanisme asiatique s’expliquent par la nécessité du combat contre les démons, les véritables ennemis de l’humanité ». Mais les démons s’infiltrent souvent chez les humains. Les druides et les héros celtes qui leur tiennent lieu sont donc les protecteurs de la collectivité, d’où leur apparente agressivité et leur fureur guerrière tant de fois magnifiées dans les textes.
Or, de même que dans la caste des guerriers il est d’usage de s’affronter entre « champions » autant pour prouver sa supériorité que pour s’exercer au combat, ce qui plus tard deviendra la coutume du tournoi médiéval, les druides, comme les chamanes, vont se livrer à des
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