Druides et Chamanes
primitif qui a fini par prendre les représentations concrètes de la divinité unique pour des entités isolées, douées d’une existence autonome. Alors qu’il ne s’agit que d’une matérialisation d’un concept spirituel intransmissible autrement que par des images concrètes.
Et que dire de cette mode actuelle qui consiste, pour un Occidental d’origine chrétienne, qu’il le veuille ou non, qu’il soit croyant, agnostique ou athée, à se faire bouddhiste ou hindouiste sans même réfléchir au fossé qui sépare la mentalité orientale de la mentalité occidentale ? Dans l’hindouisme et le bouddhisme, on se réfère à l’existence d’une âme collective qui se fondra ensuite dans le nirvâna , non pas le paradis à la mode chrétienne, mais l’unité retrouvée des êtres et des choses, tandis que dans le christianisme, le judaïsme et l’islam, on a foi en une âme individuelle responsable de ses actes et qui est destinée à rejoindre ce qu’on a souvent qualifié de « neuvième chœur des anges ». Les données sont donc profondément antinomiques et elles apparaissent inconciliables pour tout observateur impartial. On n’en finirait pas de dénoncer cette manie contemporaine de mélanger des sources hétérogènes, dépendant des conditions de vie dans un climat et une époque déterminés, ainsi que des contraintes sociologiques afférentes, dans l’espoir quelque peu démentiel de retrouver l’eau vive qui est à l’origine du monde et des êtres qui le peuplent.
Le seul point de référence est le mythe de la Tour de Babel. Dans l’opinion courante, cette anecdote, largement répandue par l’ Histoire sainte , est le juste châtiment de l’orgueil humain face à la toute-puissance divine. Mais l’ Histoire sainte , telle qu’elle est enseignée par l’Église romaine, en prend à son aise avec le texte de la Genèse . On en fait l’origine de la différenciation des langues, donc de la dispersion des peuples, alors qu’il s’agit de quelque chose de plus tragique : l’éparpillement de la Révélation primitive en une multitude d’interprétations, la plupart du temps contradictoires et même antagonistes. Il faut citer le texte. Lorsque les hommes commencent à bâtir leur ville et la fameuse tour, Iahvé-Adonaï descend contempler le spectacle et dit : « Maintenant, rien n’empêchera pour eux tout ce qu’ils préméditeront de faire ! Offrons, descendons et mêlons là leur lèvre (= langage) afin que l’homme n’entende plus la lèvre de son compagnon {1} . » Le texte est très clair et, de ce fait, il est assez terrifiant, car il suppose une féroce défiance divine envers le genre humain, ce qui peut justifier les innombrables révoltes constatées tout au cours de l’Histoire, contre un Créateur injuste et jaloux de ses prérogatives {2} .
Ainsi, le langage n’est donc pas seulement une affaire de vocabulaire mais l’instrument d’une compréhension partagée par une collectivité, apparemment universelle autrefois, d’une réalité essentielle transmise et véhiculée par des mots. À partir de ce moment crucial, symbolisé par l’épisode de la Tour de Babel, l’humanité n’a plus accès à la totalité du message primitif. Elle n’en a plus que des fragments éclatés, mais chacun des participants de cette humanité prétend en détenir la totalité, ce qui explique assez bien les discussions et les guerres idéologiques ou sanglantes qui n’ont pas cessé de ravager la planète depuis des siècles, et qui se perpétuent au gré des jours.
Cette perte de la Révélation primitive , quelle qu’en soit la cause, divine ou humaine, est catastrophique. Elle a fait le malheur de l’humanité. Elle a dispersé le message originel et elle a caricaturé la « quête » de l’absolu, comme en témoignent les récits qui se rattachent au Cycle du Graal, où l’on voit tous les chevaliers lancés à la recherche de la Vérité une et indivisible se massacrer entre eux parce qu’ils ne se reconnaissent pas. Et surtout parce qu’ils ne savent plus ce qu’ils cherchent. La confusion est totale. Est-ce l’œuvre du Diable, celui qui, étymologiquement, se dresse en travers ? Il n’y a pas de réponse, mais une constatation : chacun croit détenir cette Vérité et est prêt à éliminer tous ceux qui n’adhèrent pas à sa propre vision de cette Vérité. Or, la Vérité est un jugement de l’esprit, un raisonnement , qui n’a
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