Elora
offrit, avec une bourse emplie de tournois, un petit lopin de terre qui jouxtait le château. Ébaubie, puis ravie, la tâcheronne les remercia tous deux de son sourire édenté. En échange, Algonde lui demanda pour seule faveur de garder leur secret avant qu’elle ne puisse se rendre elle-même au castel de Sassenage, revoir sa mère et tout lui raconter.
Ainsi fut fait et la vieille femme, dispensée de service, s’installa sur une chaise, dans le large foyer qu’elle avait maintes et maintes fois briqué. Jusqu’au printemps qui verrait la construction d’une masure, Enguerrand l’affirma, elle était leur invitée.
Constantin demeura, lui, sous terre. Il refusa le regard des hommes. Il ne l’avait pas connu et n’était pas encore prêt à l’affronter. Sauvage il était né, sauvage il voulait demeurer jusqu’à l’heure de son destin. Enguerrand n’insista pas. Algonde non plus. D’autant que le révéler aux yeux du monde risquait de ramener Marthe qui le croyait défunt. Refusant d’en prendre le risque, Presine retourna près de lui, et Algonde s’attacha à leur rendre visite plusieurs fois dans la journée.
Trois semaines passèrent ainsi à la Rochette, à voir les éléments se déchaîner derrière les vitres et à composer à deux voix, deux cœurs, deux forces, un demain qui ferait accepter Algonde à Mathieu et rendre l’âme à Luirieux.
Amour et vengeance.
Vengeance dans l’amour.
Ce fut un quotidien de début de guerre, lorsque l’accalmie règne sur les terres mais qu’au-dehors, déjà, la bataille se devine. Parce qu’ils savaient trop, l’un comme l’autre, l’enjeu d’une victoire sur le destin.
Et son prix.
Car en recouvrant sa liberté, Algonde avait perdu, en plus de tous les autres, un don précieux, celui de communiquer avec Elora, celui de voir les êtres qu’elle aimait.
Pour la première fois en dix ans, elle comprit au long de ces journées sans fin à quel point sa fille lui manquait.
Cette faculté, Elora la possédait toujours quant à elle. Elle assista à la transformation de sa mère et se réjouit de l’attention dont le sire de Sassenage la comblait.
En suivant les jeux de Mayeul au castel de Bressieux, elle découvrit Petit Pierre, se rasséréna de leurs rires en songeant qu’ils seraient demain les meilleurs amis de chevauchée.
Elle fut troublée par l’angoisse et la déception de Mathieu, son père, chaque fois qu’il quittait une des caches où Petit Pierre ne s’était pas réfugié. Elle le vit chuter dans une ornière à une lieue de Romans, s’en extirper grâce à l’aide des siens, puis jurer, le poing levé en direction du ciel, avant de reprendre la route quand même, comme un défi à sa sombre destinée, indifférent à la douleur de sa hanche vrillée.
Elle s’attendrit des doigts de Bertille recroquevillés sur ceux de Jean, de leur courage malgré les vivres qui s’épuisaient et les températures qui continuaient de chuter.
À deux reprises, elle sentit que Celma la captait, pas suffisamment, hélas ! pour mettre la devineresse sur les traces de Petit Pierre. La main de celle-ci qui lançait les runes était bien trop gelée. Son esprit trop embrumé.
Qu’importe.
Elora percevait la puissance de leur lien, la force de l’amour dans les veines de son père, là où hier encore ne coulait que la soif de vengeance. Lui aussi, insidieusement, peu à peu se transformait. À chaque pas, le malandrin d’hier s’estompait au profit de l’ancien panetier.
C’était pour Elora une belle avancée.
Même si son chemin à elle était à l’image de ces pavés sur lesquels les roulottes cahotaient.
Irrégulier.
Dangereux.
Elle luttait.
Contre cette force obscure qui, dès qu’elle relâchait sa vigilance, semblait vouloir lui sonder l’âme, lui en arracher la lumière.
Elle avait enfin raconté à Khalil la légende des Hautes Terres, leur implication à tous deux et la sienne en particulier dans la reconquête de ce monde oublié. Elle lui avait révélé à quoi allait lui servir la clef, confiée autrefois par un Géant à l’ancêtre du noble Nycola. Pourquoi, alors que le peuple des bohémiens était originaire des Indes, son père adoptif portait de génération en génération le titre de comte de petite Égypte Sarrazin. Elle lui parla aussi avec beaucoup de délicatesse et de tact du chevalier de Sassenage qui, sans doute, l’avait engendré, et puis d’Algonde, de Mathieu, de Petit
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