Elora

sur son visage. Elle chercha les autres qui s’étaient levés pour, discrètement, quitter la pièce. Les arrêta.
    — Seigneur Jésus, messires, que faites-vous là ?
    Jacques de Sassenage lui plaqua un index sur les lèvres.
    — Chuuuut… Tu ne te souviens pas ?
    — De quoi devrais-je… ?
    Elle se détourna, voulut éveiller Djem. Le sentit mol sous ses doigts. Anormalement mol. Un sang glacé lui inonda les veines. Alors, brusquement, tout lui revint. Comme une déferlante. La douleur dans son ventre, les vomissements, la lumière d’Elora qui cherchait à l’apaiser sans y parvenir. Sa voix qui l’encourageait à se battre contre le poison des Borgia. Et puis Jacques de Montbel penché au-dessus d’elle, le liquide amer dans sa bouche. Djem qui lui caressait les cheveux, l’exhortait à avaler. Le feu en elle. Puis l’apaisement. Le lent apaisement de son corps, de son esprit.
    — L’élixir de la sorcière, comprit-elle en bousculant son père.
    Ce contrepoison que Presine avait composé dix ans plus tôt, pour sauver Djem. Il le lui avait administré. En se condamnant.
    Un hurlement de rage et de détresse jaillit d’elle. Rejetant les couvertures, elle enfourcha le corps de Djem, se mit à le battre dans une folie furieuse, s’acharnant à le ramener.
    Ils ne bougèrent pas. Aucun d’eux, témoins immobiles, pétrifiés d’impuissance.
    Djem finit par ouvrir des yeux vitreux. Il la reconnut au-dessus de lui, dévastée de larmes.
    — Doucement, doucement, ma sultane, murmura-t-il en relevant péniblement les bras.
    Il l’emprisonna, l’attira contre lui. Heureux de la sentir vivante. Heureux de la serrer une dernière fois. Elle sonda cette parcelle de lumière en lui.
    — Pourquoi ? Pourquoi Djem ? Pourquoi moi ?
    Il eut un petit rire, tendit le bras vers Nassouh revenu près du lit. Leurs avant-bras se soudèrent.
    — Tu comprends, toi, mon vieil ami. Tu comprends, n’est-ce pas ?
    À quoi bon lui dire qu’il aurait, lui, fait un autre choix ? Il était trop tard. Nassouh mentit :
    — Oui, Zizim.
    Hélène se sentit trahie jusqu’au tréfonds de son âme. Elle lui empoigna les joues piquantes de barbe sous le teint blafard.
    — Pas moi. Je ne peux pas… Je ne peux pas, Djem…
    Il ferma un instant les paupières. Il se sentait aspiré vers un tourbillon de lumière. Il perçut la voix d’Elora, loin, très loin, comprit qu’elle tentait l’impossible, comme avec le petit bohémien. Il savait qu’elle ne le pourrait pas. Il rouvrit les yeux. Sourit.
    — Ne pleure pas. Ne pleure pas, ma sultane. Je suis libre à présent. Définitivement libre.
    — Non ! gueula Hélène.
    — Si… Ma liberté, c’est toi…
     
    Ce furent les dernières paroles que le prince prononça.
     
    Le lendemain, l’host royal se remettait en branle. Inconscient, Djem fut transporté en litière. Revenue à son déguisement, Hélène lui tint la main jusqu’à Naples où ils entrèrent deux jours plus tard. Elle avait basculé dans une autre notion du temps. Lui aussi.
    Parfois, une lumière bleutée venait auréoler la silhouette amaigrie du prince, rappelant à Hélène le pouvoir d’Elora, qui retenait Djem dans une agonie interminable.
    Elle se tut définitivement le vingt-cinq février, alors que dix heures venaient de sonner.
    Djem avait cessé le combat.
    Hélène fit alors une chose étrange qui marqua longtemps les esprits des soldats, et même, oui, même du roi.
    Elle gagna les écuries, se déshabilla, enfourcha à cru le cheval préféré de Djem et sortit sous les étoiles.
    Parvenue dans la cour, sous la fenêtre tendue de noir, elle cabra l’animal et offrit, en guise d’adieu à l’homme qui l’avait aimée plus que sa vie, son corps blanc et parfait.
    Son dénuement le plus total…

Mireille Calmel
     

     
    Née en 1964, Mireille Calmel écrit depuis l’âge de huit ans. Ses romans aux héroïnes entières, fières, courageuses, connaissent un immense succès : rappelons Le Lit d’Aliénor, Le Bal des Louves, Lady Pirate et Le chant des sorcières, vendus à près de deux millions d’exemplaires et traduits dans plus de dix pays. Les deux volumes de sa nouvelle série, La Reine de lumière, ont paru aux éditions XO en 2009 et 2010.
    Mireille Calmel vit en Aquitaine avec son mari et ses enfants.
     
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Quatrième de couverture
     
    Malgré la disparition mystérieuse de ses