Elora
chamade. Relevant le menton, il fit crisser les cailloux sous ses souliers usés et accepta le braquemart que sa mère lui tendait par la pointe, autant par envie de la surprendre que pour se venger de son frère, renfrogné.
Il piqua la quintaine légèrement à gauche au-dessus du simulacre de nombril et remonta d’un coup sec.
Fanette hocha la tête, approbatrice. Rousse de cheveux qu’elle portait courts, elle l’était aussi de visage où les taches de son mangeaient la blancheur laiteuse de sa peau. Des rides précoces durcissaient ses traits autrefois agréables. Son regard posé sur Petit Pierre n’avait rien d’amène. Le garçonnet payait d’être le fils de Mathieu, l’homme qu’elle avait cru pouvoir s’attacher, et qui l’avait abandonnée.
Elle récupéra l’arme des mains de son fils. Injuste avec lui au quotidien, elle gardait toute objectivité quand il s’agissait de bataille. Ne menait-elle pas ce clan depuis dix ans ?
— Ça ne vaut pas une dispute, décida-t-elle. Vous avez raison, tous les deux. Regarde, Jean.
D’un geste vif, elle empoigna Petit Pierre, le plaqua de dos contre son buste et, du tranchant de l’épée, incisa horizontalement la toile de son bliaud à hauteur du nombril.
— Uniquement si tu ne peux atteindre la gorge, dit-elle en fixant son cadet, tétanisé.
Elle repoussa aussitôt Petit Pierre, livide. Il se réfugia près de Jean, les jambes flageolantes. Indifférente, Fanette poursuivit sa démonstration sur le mannequin, achevant de l’éventrer dans un râle féroce.
— De front, c’est la meilleure manière de toucher le cœur. Quelle que soit l’approche, souvenez-vous d’une chose mes fils, une seule. Aucune pitié. Jamais.
Par crainte autant que par respect, ils hochèrent la tête de concert tandis que le braquemart jeté par Fanette mordait le calcaire devant leurs pieds, effaçant leur querelle.
Elle s’éloignait déjà.
Jean grogna de surprise, toucha le ventre de son frère, là où le bliaud tailladé bâillait.
C’est à ce doigt souillé de sang frais que Petit Pierre prit conscience, en ce vingt-huit septembre de l’an de grâce 1494, que sa mère ne l’épargnerait jamais.
Assis sur un bloc de calcaire plat, près de son ami d’enfance Villon, Mathieu s’assurait du tranchant de son poignard en le passant sur un morceau de cuir quand l’ombre de Fanette vint se planter devant eux.
— Petit Pierre est prêt, annonça-t-elle d’une voix déterminée qu’assourdissait le fracas de la cascade dévalant la falaise.
Mathieu sursauta et Villon perçut une onde froide lui battre les reins. Il avait été autrefois le chef de ce clan, avant que Fanette y trouve refuge. Passant de lit en lit, elle avait su en quelques mois rallier discrètement les hommes à sa cause, montrant sur le terrain un courage, une hargne et un sens tactique qu’aucun d’eux ne possédait. Elle avait même réussi à évincer Celma, la devineresse du clan qui tirait les runes avant chaque embuscade pour en jauger les dangers. Déjouant ses prédictions par d’habiles stratégies, Fanette s’était un matin proclamée chef de leur bande. Le clan aurait dû se scinder en deux. D’un côté, les partisans de Fanette, de l’autre, ceux de Villon. Refoulant son orgueil, Villon avait argué que seule l’unité les préservait de la potence et qu’il était heureux de se voir soulagé du fardeau qu’il portait depuis si longtemps. Personne ne fut dupe. À la vérité, tous s’étaient rendu compte qu’il était tombé amoureux de sa rivale et escomptait bien régler cela tôt ou tard sur l’oreiller. Mathieu avait rejoint le groupe peu après, éperdu de douleur après la mort de sa femme et de sa fille. Fanette s’était jetée sur lui, lui avait donné ce fils, Petit Pierre, avant qu’il la repousse finalement, la jetant dans les bras de Villon avec qui elle avait eu Jean.
Pour autant, Mathieu comme Villon avaient cessé depuis longtemps de contredire Fanette. Le dernier qui s’y était risqué avait fini poignardé.
Mathieu la toisa pourtant cette fois avec défi.
— Non.
Les yeux de Fanette, étrécis par la rancœur, dardèrent un feu vengeur.
— J’ai décidé. Il ira.
— Non, répéta Mathieu sans baisser son regard borgne.
Craignant un esclandre dont le clan entier subirait les conséquences, Villon se dressa entre eux.
— Aucun enfant de moins de douze ans, c’est la règle, Fanette. Tu l’as instaurée
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