Emile Zola
laisser, après lui, la renommée de ceux qui accomplissent une entreprise grandiose et durable. Il serait le créateur du canal d'Aix ! La fortune lui viendrait avec la gloire, complétant le bonheur domestique dont il jouissait déjà.
Mais la destinée rarement permet à l'homme de le posséder, ce bonheur qu'il a rêvé, qu'il a été sur le point de conquérir. La vie fait banqueroute, et l'ouvrier, au moment de toucher son salaire, est congédié.
Ces faillites du sort, absurdes autant que cruelles, sont les fatalités courantes de la vie.
Au cours d'une visite matinale à l'un de ses chantiers, dans la gorge où déjà s'élevait le premier barrage, par une matinée glaciale de février, quand soufflait le mistral, l'ingénieur fut atteint d'une pleurésie.
Il s'alita, et, en quelques jours, la mort avait détruit cette belle intelligence, et paralysé pour jamais cette énergie toujours prête. Dans la vulgarité d'une chambre d'hôtel, à Marseille, l'hôtel Moulet, rue de l'Arbre, où il descendait d'habitude, car on n'avait pu le transporter à Aix, chez lui, François Zola mourut, le 19 février 1847. Il avait cinquante et un ans. Il laissait une veuve de vingt-sept ans, et un enfant qui allait avoir sept ans, Émile Zola.
Au cours de l'un de ses fréquents voyages à Paris, à la sortie d'une église, François Zola avait rencontré une jeune fille, de condition modeste, mais honnête et jolie, Emilie Aubert. Le père était entrepreneur de peinture dans la petite ville de Dourdan, près de Paris. Le mariage se conclut rapidement. Les formalités furent abrégées. La future n'apportait en dot que sa grâce et sa jeunesse. Le futur n'avait encore que ses talents, son projet de canal, présenté depuis deux ans, ses espérances et sa vaillance. Vingt-trois ans de différence existaient entre les époux.
L'union fut heureuse. La douleur de la jeune femme, accourue d'Aix dans l'hôtel marseillais où déjà son mari agonisait, fut profonde. Elle dut, par la suite, à de douloureux anniversaires, évoquer, devant son fils, attentif, les heures cruelles écoulées dans la banalité de cette chambre inconnue, au milieu des malles entrouvertes et des vêtements entassés sur les chaises, avec le brouhaha, dans les couloirs, des voyageurs indifférents ou gais, allant et venant, confondant, par la minceur des cloisons, leur paisible ronflement avec le râle de l'agonisant. Zola s'est souvenu de ce décor lamentable et de ce désarroi, quand il écrivit Une Page d'amour. La jeune veuve se trouvait sans appui, sans conseils, dans une situation, alors non pas absolument mauvaise, mais embarrassée.
Il y avait une liquidation difficile à entamer, des marchés en train à régulariser et à résilier, des ouvertures de crédit en suspens, des travaux en cours, qu'il faudrait achever ou céder. Le canal était en bonne voie de construction, mais loin d'être terminé. Les créanciers se présentèrent, les débiteurs s'effacèrent. Il fallait prendre des arrangements, tenter des recouvrements, maintenir les chantiers ouverts, ne pas abandonner le canal qui représentait tout l'avoir, tout l'héritage de l'ingénieur. Lourd fardeau pour une femme de vingt-sept ans, sans grande expérience des affaires, et ayant un jeune enfant à élever. Mme Zola avait autour d'elle, à Aix, son père, le vieil entrepreneur de peinture, alors, retiré, sa mère, native d'Auneau, beauceronne avisée et qui prit en main la direction des affaires contentieuses, courant chez les avoués, les avocats, les huissiers, vaquant aux échéances, aux atermoiements, défendant, avec la ténacité paysanne, les bribes de la succession, que les corbeaux de la chicane et les vautours de la spéculation déjà, se disputaient.
Les procès, soit qu'ils fussent mal engagés, mal conduits, mal plaidés, ou bien parce que les prétentions des héritiers Zola étaient imparfaitement fondées, peu soutenables en droit, aboutirent à un échec complet. Les procès perdus, la position de la jeune veuve, d'abord pénible, bientôt devint critique. L'ingénieur, ressemblant en cela à la plupart des hommes engagés dans de vastes entreprises, dont le succès se dessine, donnant la promesse de beaux résultats prochains, avait escompté cet espoir de fortune. Hardi, optimiste, l'ancien soldat du prince Eugène, le risque-tout de la légion étrangère, s'était jeté dans cette expédition, scientifique et financière, avec l'élan imprévoyant de sa
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