Emile Zola
contraire à l'esprit républicain, à la justice démocratique. Est-ce que les fautes, si fautes il y a, ne doivent pas demeurer personnelles ? Quand bien même on eût prouvé qu'Émile Zola était le fils d'un homme qui avait mangé la grenouille et passé à l'étranger ensuite, cela aurait-il prouvé quelque chose pour ou contre la culpabilité d'un militaire accusé de trahison ?
Si Zola père eût été un mauvais soldat et un malhonnête homme, cela eût-il empêché Zola fils d'être l'un des premiers écrivains de son temps ?
On pourrait concevoir la haine des partis, fouillant les antécédents et recherchant les tares des parents ou des alliés d'un homme occupant les plus hautes situations politiques. Cela s'est vu, au détriment d'un président de la République. Pour atteindre la République elle-même, avec une aveugle méchanceté, on a publié des faits peu avantageux pour la mémoire d'un membre de la famille de ce chef d'État. On pensait ainsi l'obliger à se retirer. Mais un romancier, mais un pamphlétaire, en quoi l'indignité, alléguée ou prouvée, d'un parent, peut-elle lui ôter son talent ou affaiblir les virulences de sa plume ? Les calomnieuses révélations faite sur le père de Zola n'ont, d'ailleurs, eu aucune influence pour ou contre la défense de Dreyfus. On eût été tout aussi armé, dans le bon combat, comme disait l'Eclair, contre le Dreyfusisme, si, en 1898, on eût laissé à François Zola, mort et inhumé en 1847, le triple bénéfice de l'abstention de la justice, de la prescription du temps et de l'amnistie de la mort.
À la suite de l'enquête faite au régiment, et dont il sortit indemne, François Zola, ses comptes réglés, ayant donné sa démission, quitta l'Algérie et revint en France.
Ce fut à Marseille qu'il débarqua.
Cette ville remuante et affairée lui plut. Il est des villes qui captivent comme une maîtresse. Séduit par Marseille, Zola père s'y installa et ouvrit un cabinet d'ingénieur civil. Il avait alors quarante ans. Il était temps de faire choix définitivement d'une carrière, de s'établir, de ne plus être le nomade d'antan.
Son esprit, actif comme son corps, trouvait-il enfin un milieu favorable, un terrain propice à fonder une fortune, une famille ? L'ingénieur mobile et vagabond parut se plaire tout de suite parmi la pétulante population marseillaise. Cette cité maritime et commerçante l'intéressait. Il résolut d'y jouer un rôle. Il portait en lui de vastes plans, des rêves de grands travaux. Négligeant les petites affaires, les entreprises mesquines, il tenta de frapper un coup décisif en soumettant aux autorités compétentes un projet de nouveau port. Le vieux et célèbre port de Marseille ne répondait plus à l'importance du commerce et de la navigation. On réclamait un havre neuf, vaste et sûr. Diverses propositions étaient en l'air. François Zola prépara un projet complet. L'emplacement qu'il proposait était la baie des Catalans, abritée du mistral. La Joliette l'emporta, comme étant plus proche du centre de la ville. De l'avis de tout le monde, aujourd'hui, l'endroit désigné par l'ingénieur vénitien était préférable : la Joliette est exposée aux coups de vent du Nord-Ouest, et le mouillage y est hasardeux. Voyages à Paris, démarches dans les bureaux, pourparlers avec les sociétés financières, les administrations maritimes, les entrepreneurs, puis confection et dépôt d'esquisses, de plans, de dessins, de cartons, tout ce difficile et consciencieux travail demeura donc inutile. L'ingénieur, déçu, mais non abattu, se rejeta sur un autre projet.
L'aristocratique et somnolente ville d'Aix l'attira, comme champ d'affaires. Tout était à entreprendre dans cette cité en léthargie. Il était possible de la ranimer, de lui restituer, sinon la splendeur déchue, du moins la vitalité d'un centre moderne.
Avec ses hôtels majestueux, demeures seigneuriales des anciens membres du Parlement, ses édifices publics trop vastes pour les services d'une simple sous-préfecture, l'ancienne capitale déchue de la Provence n'avait pas de chemin de fer, pas de communication facile pour les marchandises. L'industrie était absente et le commerce languissait. Ville ecclésiastique, universitaire et judiciaire, siège d'un archevêché, des Facultés de théologie, lettres et droit, centre du ressort judiciaire avec sa cour d'appel, Aix, malgré son nom, manquait d'eau. N'était-ce pas un grand et
Weitere Kostenlose Bücher