Emile Zola
Londres :
Un des moments les plus heureux de ma vie a été celui-ci : en ma qualité de délégué du gouvernement à une assemblée générale de la Société protectrice des Animaux, j'ai accroché une médaille d'or à la poitrine d'une rougissante bergère, une petite Bourguignonne de seize ans, qui s'appelait Mlle Camelin, et qui, au péril de sa vie, avait tué en combat singulier un loup affamé, sauvant ainsi son troupeau...
Zola a de tout temps pratiqué l'amitié. Il se plaisait à diriger, à commander ses amis, mais il leur vouait une affection solide et sincère.
Il a été le centre de plusieurs réunions d'intimes, comme nous l'avons dit : Baille, Cézanne, Marius Roux. Voilà le premier groupe, celui des Provençaux, des condisciples de sa jeunesse, des premiers confidents de ses rêves, de ses essais. Puis, vinrent les peintres impressionnistes et coloristes, Manet, Guillemet, Pissarro, parmi lesquels se trouvait Cézanne, l'ami de l'adolescence. Ensuite ce fut le groupe de Médan : Guy de Maupassant, Hennique, Huysmans, Céard et le fidèle Paul Alexis, les co-auteurs des Soirées de Médan.
Le développement pris par cette étude m'a empêché de décrire ce cénacle, sur lequel je possède de nombreux documents, ayant été l'ami de plusieurs d'entre eux, de Maupassant et de Paul Alexis entre autres, pour ne citer que les morts. Si la brièveté de l'existence me le permet, je consacrerai un nouveau volume au «groupe de Médan».
Vinrent ensuite les compagnons de l'époque combative, les défenseurs de Dreyfus. Il convient de mentionner également le petit groupe des intimes, des amis personnels, comme Georges Charpentier, Desmoulins, Alfred Bruneau, et le groupe des jeunes gens de la dernière heure, Saint-Georges de Bouhélier, Maurice Leblond, Paul Brulat, etc., etc., tous pieux gardiens de la gloire du maître. M. Maurice Leblond, dont le mariage vient d'être célébré (14 octobre 1908), devait épouser sa fille Denise.
Parmi les amis et admirateurs de toute la vie de Zola, il est bon de citer au premier rang, surtout parce que, poète lyrique, auteur dramatique et critique, ayant vécu, travaillé, grandi, en dehors du naturalisme, il semblait devoir être plutôt éloigné de l'auteur de Germinal, mon vieux camarade du Parnasse, Catulle Mendès.
Au banquet donné au Chalet des Îles, au Bois de Boulogne, le 20 janvier 1893, à l'occasion de la publication du Docteur Pascal, qui terminait la série des Rougon-Macquart, après le toast d'Émile Zola, remerciant la presse et son éditeur Charpentier, disant : «Cette fête est celle de notre amitié, qui dure depuis un quart de siècle, et qu'aucun nuage n'assombrit jamais, sans qu'aucun traité nous ait liés, l'amitié seule nous a unis et l'amitié est le meilleur des contrats...»
Catulle Mendès se leva et salua en ces termes le héros de la cordiale cérémonie :
Je lève mon verre, cher et illustre maître, pour fêter le jour où s'achève votre oeuvre énorme, bientôt suivie certainement de tant d'oeuvres encore, universelle et juste gloire.
Réjouissez-vous, cher et illustre ami, car, plein de force géniale pour de nouvelles réalisations, vous avez édifié déjà un monument colossal qui, après avoir stupéfié d'abord, puis courbé à l'admiration les hommes de notre âge, sera l'étonnement encore, mais surtout l'enthousiasme des hommes de tout temps. Et, tout en réservant,-vous m'y autorisez,-mon intime prédilection pour la Poésie, émerveillement suprême, tout en gardant la plus haute ferveur de mon culte pour celui qui n'est plus et ne mourra jamais, je salue en vous l'une des plus solides, des plus magnifiques, des plus rayonnantes gloires de la France moderne !
Cet hommage d'un artiste et d'un journaliste comme Catulle Mendès compense et efface bien d'absurdes et haineuses diatribes.
Un petit incident a terminé cette fête de la littérature moderne.
Un militaire, le général Jung, s'est levé, après plusieurs orateurs, et a dit simplement, en buvant à Zola :
-«Je souhaite de toute mon âme que mon illustre ami, après la Débâcle, nous donne le Triomphe.»
Zola a répondu en souriant :
-«Général, cela dépend de vous !»
Ni Zola, ni personne de ceux qui lui survivent ne devaient voir se réaliser ce double voeu littéraire et patriotique.
* * * * *
Le 28 septembre 1902, un dimanche soir, Zola et sa femme étaient revenus de
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