Emile Zola
rappelant surtout le bric-à-brac. Il y avait bien un vaste divan aux étoffes turques, aux coussins orientaux, garnissant le fond du cabinet, qui pouvait être considéré comme un meuble utile, indispensable pour la sieste, durant les digestions pénibles, ou le repos après le travail, mais aussi se bousculaient là, dans un prétentieux et disparate encombrement, de la ferraille commune, de la vaisselle ridicule, des cuivres de bazar, des ivoires de pacotille, des oripeaux fanés de carnaval, de vulgaires bois sculptés et des japonaiseries de grands magasins, peinturlurées ou ciselées à la grosse, enfin, tout le déballage des bibelots truqués et sans valeur, qu'exhibait alors Laplace, limonadier et brocanteur, l'initiateur des cabarets montmartrois, dans sa Grand'Pinte de la place Trudaine.
Il y avait comme un jubé, en bois vernissé, au-dessus de l'alcôve orientale, où des livres, sur des rayons, s'alignaient. Zola était très fier de tout ce décrochez-moi-ça romantique, auquel les tavernes à devantures en culs de bouteilles, les chats-noirs aux vitraux imités de Willette et les brasseries moyenâgeuses aux tapisseries imprimées, ont porté le coup du dédain et même du ridicule.
Paul Alexis a fait la même remarque, en parlant de l'appartement de la rue de Boulogne :
Balzac dit quelque part, écrivait Paul Alexis, que les parvenus se meublent toujours le salon qu'ils ont ambitionné autrefois, dans leurs souhaits de jeunes gens pauvres. (Alexis doit faire allusion à un passage de César Biroiteau, le salon blanc et or de l'architecte Grindot.) Eh bien ! justement, dans l'ameublement de notre naturaliste d'aujourd'hui, le romantisme des premières années a persisté... C'est surtout dans son appartement de la rue de Boulogne, où il habite depuis 1877, que Zola a pu contenter d'anciens rêves. Ce ne sont que vitraux Henri II, meubles italiens ou hollandais, antiques Aubussons, étains bossués, vieilles casseroles de 1830. Quand le pauvre Flaubert venait le voir, au milieu de ces étranges et somptueuses vieilleries, il s'extasiait, en son coeur de vieux romantique.
Un soir, dans la chambre à coucher, je lui ai entendu dire avec admiration : J'ai toujours rêvé de dormir dans un lit pareil... c'est la chambre de Saint-Julien l'Hospitalier !...
Médan avait le caractère moins pompeux, moins musée, que le logis parisien, et nulle préoccupation de style, ou même de tonalité générale, n'avait présidé à son ameublement. Mais Zola s'y plaisait, et il avait bien raison de se meubler à son goût, selon sa fantaisie.
C'est un petit village des environs de Poissy, que ce Médan, qui n'avait pas d'histoire, et qui est devenu notoire comme un champ de bataille.
C'est déjà la grande banlieue. Poissy, avec ses pêcheurs à la ligne, Villennes et son Sophora aux vastes ramures éployées sur les tables du restaurant, forment l'extrême frontière, de ce côté, de la zone banlieusarde, hantée, le dimanche, de bandes tapageuses et pillardes de Parisiens lâchés. Une population estivale d'employés et de commerçants, prenant le train chaque matin de semaine, revenant le soir, les affaires terminées et le bureau fermé, se trouve encore à Poissy, à Villennes, mais c'est son point terminus. À Médan, on est à la campagne. Sur l'autre rive, commence le Vexin français, théâtre des vieilles pilleries anglaises, et la verdure plus verte et les troupeaux plus denses donnent une idée de la grasse Normandie. Pas de villas. Le bourgeois retiré, l'ancien boutiquier citadin, venu planter ses choux et mourir à la campagne, est inconnu à Médan. Un seul château, d'un style moyenâgeux moderne, avec des créneaux de décor d'opérette, étranglé entre la route et la colline.
Ce castel en simili, paraissant construit par un décorateur de théâtres, est campé sur les ruines de l'ancien donjon, où se retranchèrent maintes fois des combattants de la guerre de Cent Ans. Quand Zola acheta sa maisonnette, cette bâtisse, représentant les traditions de l'ancien régime, dont le propriétaire était salué comme seigneur du village, appartenait à un ancien garçon de café, Lucien Claudon, le Lucien célèbre du café Américain. Le produit des pourboires du Peter's ne resta pas longtemps dans les mêmes mains. Comme un château de cartes, le donjon moderne s'écroula sous les coups furieux du krach de l'Union Générale. La modeste demeure de l'homme de lettres ne fit, au
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