Emile Zola
du tumulte ambiant, dans l'effarement du cauchemar réel de l'invasion, à se demander si l'on imprimerait encore des romans, et s'il y aurait toujours une place pour l'homme de lettres, dans la société bouleversée.
Comme j'avais avec moi ma femme et ma mère, sans aucune certitude d'argent, disait-il plus tard, en se remémorant ces journées d'angoisse et de misère, j'en étais arrivé à croire tout naturel et très sage de me jeter, les yeux fermés, dans cette politique que je méprisais si fort, quelques mois auparavant, et dont le mépris m'est, d'ailleurs, revenu tout de suite.
Zola, qui devait plus tard, indirectement, revenir à la politique, indirectement peut-être d'une façon un peu inconsciente, fut donc sur le point de devenir fonctionnaire.
En mars 1871, seulement, c'est-à-dire après la paix, et quand la lutte communaliste débutait, Clément Laurier, tenant la promesse faite à Glais-Bizoin, nommait Zola sous-préfet de Castel-Sarrazin, dans le Tarn-et-Garonne.
Cette nomination fut presque aussitôt rapportée, et Zola n'endossa point l'uniforme à broderie d'argent. Il n'eut pas à se déranger pour aller même voir sa sous-préfecture. Cette petite ville et cette petite fonction ne lui convenaient guère. Il s'attendait à mieux. Et puis, il venait d'obtenir une correspondance au Sémaphore de Marseille, et le journal la Cloche, de Paris, lui prenait des «Lettres parlementaires». Il avait ainsi le pain assuré, et même des émoluments supérieurs au traitement d'un sous-préfet de 3e classe. De plus, il conservait l'indépendance qui convenait à son caractère. L'espoir lui revenait de pouvoir reprendre, la guerre étant terminée, sa carrière purement littéraire. Il avait sa Curée à achever. Il lui parut qu'il lui serait bien difficile de terminer son roman, et surtout de le faire paraître, s'il s'enterrait dans la petite ville gasconne qui lui était assignée.
Qui songerait à l'exhumer de là ? Il disparaîtrait, enfoui sous les cartons verts et les papiers administratifs. Il refusa donc la situation officielle qui lui était offerte, et, quand l'Assemblée nationale rentra à Paris, il la suivit.
Il conservait sa place de rédacteur parlementaire à la Cloche, et cela lui paraissait suffisant et agréable.
Au milieu de ces cataclysmes nationaux et de ces péripéties domestiques, Zola, qui avait déjà fourni au Siècle un roman, pour être publié en feuilleton, la Fortune des Rougon, se disposa à en donner un second dans la Cloche de Louis Ulbach, où il était chargé du compte rendu des séances de l'Assemblée nationale. La Curée avait été commencée avant la guerre. Elle ne fut terminée qu'en 1872, après une interruption dans la publication du feuilleton, motivée par des tracasseries policières. Les magistrats de l'empire, qui poursuivaient, en 1858, Gustave Flaubert et Madame Bovary pour immoralité, avaient été changés ou s'étaient changés eux-mêmes. Ils étaient presque tous devenus, de forcenés bonapartistes qu'ils étaient, des fervents républicains, dès le soir même du 4 septembre 1870, mais l'esprit de la magistrature était demeuré le même : hostile à la littérature. Parquets et tribunaux qualifiaient de délit contre la morale toute tentative d'artiste pour montrer la société à nu, et ôtant le masque humain, laisser voir le fauve qui est dessous.
La publication de la Curée en librairie fut ajournée, suivant le retard de la Fortune des Rougon, qui n'avait pu paraître à temps, à raison de la guerre et de circonstances spéciales à l'auteur et à l'éditeur.
Cet éditeur était Lacroix, l'ancien associé de Verboeckhoven pour la Librairie Internationale. Zola était entré en rapports avec lui, pour les Contes à Ninon. Ils avaient passé un traité peu ordinaire. C'était un forfait. L'éditeur devait donner à «son» auteur des appointements fixes, comme à un employé. Six mille francs l'an, payables par fractions mensuelles de cinq cents francs. Zola avait accepté d'enthousiasme.
C'était le salut ! C'était le pain quotidien suffisamment accompagné de rôti et de légumes, c'était aussi la fixité dans les recettes, la régularité dans son petit budget. Il retrouvait, avec moins de sécurité, mais avec plus d'avantages métalliques, sa situation de commis de la maison Hachette, voyant, au bout de chaque mois, tomber la somme fixée, sans redouter l'incertitude et l'irrégularité des gains littéraires.
En
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