Emile Zola
romans ne se vendaient pas, j'ai fait du journalisme pour gagner de l'argent ; j'en fais aujourd'hui pour défendre mes idées, pour proclamer mes principes.
-Où avez-vous écrit ?
-Successivement j'ai travaillé à la Situation, au Petit Journal, au Salut Public, de Lyon, à l'Avenir National, à la Cloche, où j'ai fait le courrier de la Chambre (alors siégeant à Versailles), et au Corsaire (d'Édouard Portalis), qu'un méchant article de moi, intitulé «le Lendemain de la crise», fit supprimer. J'ai écrit aussi à la Tribune. Une particularité me frappa, à la Tribune. Tout le monde était pour le moins candidat à la députation. Il n'y avait que moi et le garçon de bureau, qui ne fussions pas candidats...
Zola termina ses déclarations sur le journalisme par ces dernières confidences, intéressantes à retenir :
-Je fus correspondant, à Paris, du Sémaphore de Marseille, jusqu'en 1877. L'Assommoir se vendait depuis sept mois que, par mesure de précaution, j'envoyai chaque jour ma correspondance. Cela, pour quelque cent francs par mois. Et à ce propos, permettez-moi de vous faire remarquer qu'il y a tout au plus quatre ans que je gagne de l'argent. C'est grâce aux sollicitations de mon digne et vieil ami Tourgueneff que j'ai obtenu la correspondance du Messager de l'Europe, de Pétersbourg, qui, au début, ne me valut pas moins de sept à huit cents francs par mois.
Enfin, vous m'avez connu au Bien Public-(j'étais chargé de la partie littéraire, à ce journal, et, pour le compte rendu des premières, je remplaçais souvent Zola)-et j'avoue qu'au moment où je suis entré à ce journal, pour y rédiger le feuilleton dramatique (1876), ma situation n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui ; c'est pourquoi j'avais surtout pour objectif les six mille francs que me rapportait ce feuilleton. Plus tard, quand l'aisance arriva, lorsque je me sentis devenir une force, la question d'argent ne fut plus que secondaire. Je me servis de mon feuilleton comme d'une tribune. Ainsi, vous le voyez, le journalisme est à la fois un moyen et un but. De plus, c'est une arme terrible. Combien de littérateurs, et des plus estimables, seraient heureux de pouvoir s'en servir, et de trouver, en outre, quelques subsides.
-Quelle est votre opinion sur la critique ?
-En France, répondit avec force Zola, on ne fait pas de critique.
Je pourrais même dire qu'on n'en a jamais fait ! Tous nos critiques ont des amitiés à ménager, sinon des intérêts à préserver. D'ailleurs, le métier de critique est un casse-cou. Soyez franc : au bout de quelques jours, vous n'avez plus que des ennemis. Aussi je trouve que les vieux sont trop compromis par leurs relations. J'estime que ce sont les jeunes qui devraient faire de la critique. Ils se tremperaient, ils se fortifieraient ainsi. Ce serait, en quelque sorte, pour eux, le baptême du feu...
-Ne vous est-il jamais venu à l'idée d'avoir la direction d'un journal dans lequel vous défendriez et propageriez vos idées !
-On m'a fait des propositions dans ce sens. Même, il y a huit jours, l'entreprise a été sur le point d'aboutir. Aujourd'hui mes travaux littéraires ne me permettraient pas d'accepter une telle responsabilité. Cependant, je ne dis pas que, plus tard, cette idée ne sera pas mise à exécution.
-Vous publieriez alors un journal politique ?
-C'est-à-dire que je ferai l'ancien Figaro, en déposant un cautionnement au Trésor pour avoir, à l'occasion, le droit de traiter les questions politiques. Je prendrai les événements et les hommes de très haut. Je ferai table rase des calculs et des convoitises. Je ne m'inféodorai à aucune coterie, et je tiendrai sur tout mon franc-parler. Je crois qu'un tel journal réussirait. En tout cas, ce serait un curieux document pour l'avenir...
Zola journaliste mérite donc l'attention, et, sans le préjugé de la spécialisation et du cantonnement des genres, dont sont férus la plupart des bavards de salons et des plaisantins de bureaux de rédaction, qui font l'opinion, on ne considérerait pas, comme une partie négligeable de son oeuvre, ses articles. Il en a réuni un grand nombre en volumes, et ces productions passionnées, toutes vibrantes de conviction, méritent d'être retenues et considérées comme de véritables livres, comme les meilleures études de critique approfondie sur le roman, sur le théâtre et sur les principaux écrivains
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