Emile Zola
1880.)
-Un jour que je demandais de l'argent à M. Charpentier, il me dit : j'ai fait nos comptes. Voici votre situation.
Je constatai avec stupeur que je devais un peu plus de dix mille francs à M. Charpentier. Celui-ci, se tournant vers moi, me regarda en riant, puis, déchirant le traité :
Je gagne de l'argent avec vos ouvrages, me dit-il, et il est juste que vous ayez votre part dans les bénéfices. Ce n'est plus six mille francs que je vous offre annuellement, mais une remise de cinquante centimes par volume vendu. À ce compte-là, le seul que j'accepte, c'est vous qui êtes mon créancier : il vous est redû la somme assez ronde de douze mille francs, que vous pouvez toucher. La caisse est ouverte !...
On conçoit de quel pied joyeux Zola descendit à la caisse pour palper ce boni inattendu. De débiteur il passait créancier ! Quel allégement ! En même temps qu'il se libérait, il encaissait, et, ce qui était plus précieux encore, il acquérait un bon et véritable ami.
L'inaltérable affection mutuelle de Georges Charpentier et de Zola, de l'auteur et du libraire, est à envier et à montrer en exemple.
Bien que vivant modestement, Zola, en attendant la publication et la réussite de ses romans, ne pouvait demander qu'au journalisme le supplément de ressources qui lui était nécessaire, durant ces trois années difficiles, 1869-1870-1871. Écrire au jour le jour des articles n'était pas une besogne qui lui fût difficile ou pénible. Nous savons que sa première méthode de travail était la régularité. Bien qu'il n'ait été qu'un journaliste intermittent, et qu'il ait considéré seulement la presse comme un gagne-pain quotidien, et ensuite, l'aisance venue avec la notoriété, comme un instrument puissant de propagande, comme une arme incomparable de polémique, il doit être compté parmi les professionnels, et en bon rang, du journal, au XIXe siècle. Il aimait le journalisme.
Il m'a fait à moi-même, en plusieurs circonstances, l'éloge de cette profession ingrate, au labeur continu, aux succès éphémères. Il voulut bien me complimenter, à diverses reprises, sur ce qu'il nommait ma «virtuosité». Il se rendait un compte exact de la difficulté de ces variations quotidiennes qu'il faut improviser, la plume devenant rivale de l'archet de Paganini, sur la banalité de thèmes courants ou vulgaires, et cela tous les jours, parfois plusieurs fois par jour, sans paraître jamais las, sans reprendre haleine. Il avait des idées très précises sur la presse et sur la tâche du journaliste. Je vais lui laisser la parole pour les exprimer :
Je considère, répondit-il à une pressante et peut-être indiscrète interrogation sur ce sujet, puisque vous me demandez mon opinion sur le journalisme contemporain, que, s'il ne sert pas d'instrument politique ou de tribune littéraire, il ne peut constituer qu'une situation transitoire, ou plutôt préparatoire...
Je vous en parle savamment, moi qui ai fait de tout, dans le journalisme, depuis le vulgaire fait-divers jusqu'à l'article politique. L'immense avantage du journalisme, c'est de donner une grande puissance à l'écrivain. Dans un fait-divers, le premier venu peut poser la question sociale. De plus doit-on compter pour rien l'éducation littéraire, l'habitude d'écrire, qu'on acquiert ainsi ?
Sans doute, il faut avoir les reins solides. Cette besogne à la vapeur tuera les moins robustes, mais les forts y gagneront. Et, je le dis sans fard, je ne m'occupe que de ceux-ci, je ne m'apitoie nullement sur le sort des vaincus, quand c'est leur faiblesse qui est coupable.
Il faut, dans la vie, avoir du tempérament. Sans énergie on n'arrive à rien. Enfin, le journalisme donne aujourd'hui au littérateur le pain quotidien, et lui assure ainsi l'indépendance.
Je voudrais pouvoir exprimer toute ma pensée là-dessus. Je le ferai certainement plus tard, car il y a là une question vitale : les écrivains du siècle dernier étaient des valets, parce qu'ils ne gagnaient pas d'argent, et c'est cette bataille de l'écrivain contemporain, que nous avons tous soutenue contre les exigences de la vie, qui nous a valu Balzac...
Hélas ! je soulève là tout un monde et il me faudrait des journées entières pour m'expliquer...
J'ai donc, continua Zola, beaucoup travaillé dans le journalisme, quoique j'aie peu fréquenté les bureaux de rédaction. Quand j'étais pauvre, alors que mes
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