Emile Zola
Parfum, d'autres vaudevilles encore, écoutés avec plaisir, et applaudis sans protestation, prouvent qu'il y eut parti pris, pour ne pas dire cabale, contre l'auteur, déjà trop célèbre, de l'Assommoir et de la Page d'Amour.
Au second acte, où la jeune épouse, entraînée au mess des officiers, se laisse griser et entonne le refrain de route :
As-tu bu
Au tonneau de la mèr' Pichu ! (bis)
Il s'éleva des murmures véritablement exagérés ; il y eut même des sifflets tout à fait excessifs. Ces indignations dépassaient la mesure, en admettant que la chanson troupière, fort crânement et gentiment lancée par Mlle Lemercier, ait déplu aux délicats spectateurs, accoutumés à se pâmer lorsqu'on jouait la Mariée du Mardi-Gras ou le Chapeau de Paille d'Italie.
Zola fut blessé et attristé de cet échec inattendu et, en quelque sorte, inexplicable de Bouton de Rose. Il n'avait voulu écrire qu'une farce, afin de montrer sans doute qu'il était capable de besognes vulgaires, et on le jugeait avec la sévérité à peine de mise pour une grande comédie de moeurs à prétentions philosophiques. On ne doit pas regarder le Médecin malgré lui avec les yeux graves et la pensée en éveil qui conviennent aux représentations du Misanthrope. On a prêté à Zola, après coup, une attitude, autre que celle qu'il eût réellement, la vraie, la bonne.
Quand, le rideau relevé, l'excellent artiste Geoffroy, si aimé du public, pourtant, eut toutes les peines du monde à nommer l'auteur, au milieu de sifflets et de clameurs, également stupides, on a montré Zola affectant, dans les coulisses, au milieu des cabotins effarés et devenus méprisants, une attitude hautaine. Aux directeurs consternés il aurait dit : «Vous voyez bien, Messieurs, que vous avez eu tort de jouer ma pièce, malgré moi !» On ne joue aucun auteur malgré lui, et Zola, si intransigeant sur ses droits d'écrivain, moins que personne était homme à se laisser prendre, d'autorité, une oeuvre. Sans son consentement, sans son désir, aucun directeur de théâtre ou éditeur n'eût osé mettre, sous les yeux du public, un roman ou une comédie qu'il eût estimés indignes de paraître. La vérité est qu'il supposait, sans croire avoir enfanté un chef d'oeuvre, que Bouton de Rose était bien dans le cadre du Palais-Royal, et que le public accepterait cette pièce comme tant d'autres de même tonalité, sans y chercher midi à quatorze heures, riant et s'amusant, comme il sied à une farce un peu grosse. Il se doutait si peu de l'échec, qu'il m'avait bien recommandé, dans le compte rendu que je devais faire de la première, à sa place, pour le Bien Public, d'insister sur les plus énormes plaisanteries de la pièce, de les montrer conformes à l'esprit national, d'après les fabliaux et les contes qualifiés de gaulois, qu'Armand Silvestre commençait à remettre à la mode.
Un petit détail prouvera combien il escomptait la victoire : un souper de trente couverts avait été par lui commandé chez Véfour, restaurateur voisin, sous le péristyle, en face du théâtre, le soir de la première, pour célébrer le succès nouveau, original et désiré de Zola, auteur comique ! Ce fut un souper de funérailles. Mais, avec sa robuste placidité, Zola parut indifférent et calme. Il supporta la douche sans broncher. C'était un four ? Eh ! bien ! soit ! après ? Il restait toujours l'homme qu'il était. Les presses de Charpentier attendaient, et un nouveau chef-d'oeuvre était tout prêt pour boucher ces mâchoires hurlantes. Il ne maudit ni le parterre, ni la critique : il ne voulut, cependant, pas reconnaître qu'il s'était fourvoyé.
Il ne consentit même pas à confesser son infériorité dans le genre plaisant.
Comme à tous les esprits puissants, aux vastes pensées, la blague, qui est la classique vis comica dégénérée, lui échappait. Il n'était pas le maître du rire. Le sens du drôle lui faisait défaut. Il n'est pas le seul qui ait cette lacune du risible. Victor Hugo, même au 4e acte de Ruy Blas, même dans ses plus grands efforts pour être plaisant, n'a jamais pu arriver à ce résultat que le premier turlupin venu obtient si facilement, au théâtre : faire rire ! Il est faux que que le plus puisse être le moins.
Défense au Mont-Blanc de se rapetisser et de devenir monticule. S'il est impossible à la grenouille de s'enfler jusqu'à devenir boeuf, le boeuf ne peut
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