En Nos Vertes Années
l’avoir retirée toute une nuit,
à mon très grand détriment, de la commune usance.
— Où suis-je donc céans ?
M’écriai-je, redressé et les poings aux hanches. Dans un bordeau ?
— Nenni, Moussu ! dit
l’alberguière en portant haut la crête à son tour. Mais dans une bonne,
chrétienne et respectable auberge où l’on pourvoit aux aises du voyageur.
— Les chrétiennes aises !
dis-je en me gaussant.
Mais je me tus, sentant que cette
ironie-là me retombait fort sur le nez. Du reste, l’alberguière me considérait,
immutable comme roc. Je changeai alors de ton et de visage, je lui donnai du
sourire, je lui baillai du regard, je lui parlai de miel. Mais rien n’y fit.
Elle ne branla point. Et à la fin je compris que pour l’apazimer il fallait que
je m’arrangeasse autrement avec elle. Le qu’est-ce et le comment de cet
arrangement, je le donne à imaginer au lecteur, en le priant toutefois de ne
pas passer sur moi un jugement trop sévère, pour ce que l’oisillon que j’étais,
à peine quitté son nid de Mespech, s’enjuponnait ainsi de l’une à l’autre. Il
n’est point dans ma nature d’être si léger. Et la pensée de ne pas offenser mon
bien-aimé Samson, et dans son âme et dans le ménagement de notre bourse, pesa
fort dans ma décision.
Non que je veuille ici faire le
cafard. Ce ne fut point si grand sacrifice, bien que j’y marchasse d’abord en
rechignant. À parler franc, l’alberguière, même après les fatigues d’une nuit,
valait bien le débraguetter. Mille dious, quelle fournaise c’était là ! Et
pour moi, pensée fort délicieuse en plus de la volupté, que d’être le soufflet
qui attisait cette forge. Ha quelle pitié, pensai-je, rompu et content, en regagnant
ma chambre (où Samson dormait encore, en compagnie de deux gros moines), que
ces plaisirs, si sains au corps de l’homme et même à son esprit, soient, hors
mariage, si coupables aux yeux de Dieu ! Hélas, on nous l’enseigne ainsi.
Et il faut bien que ce soit vrai, puisque les deux religions du royaume sont
là-dessus bien d’accord, la réformée comme la catholique.
CHAPITRE II
Je ne voulus pas risquer de réveiller
Samson, ces deux gros moines prenant déjà tant de place. Gagnant le cabinet
attenant, je me glissai dans le lit vacant de Miroul, notre valet étant sans
doute à panser nos chevaux, la première pique du soleil luisant derrière le
papier huilé de son fenestrou.
Toutes voluptés épuisées, il nous
reste encore le dormir, et ce n’est pas le moindre. Quel délice, me retrouvant
seul, de peser de tout mon long sur cette petite couche, les reins à l’aise et
les membres jetés, et mes yeux se fermant déjà.
Cela étonna fort Samson de me voir
au grand jour reposant ainsi sans battre un cil et sans un soupir, quand il se
décida à me réveiller sur le midi, moi qui, à Mespech, étais le premier debout,
et toujours le premier descendu dans la grand’salle du bas, avant même la
Maligou qui cuisait notre pot. Mais je lui dis en me frottant l’œil et me
testonnant de mes doigts les cheveux, combien mon truchement m’avait fatigué,
et j’eus quelque vergogne à mentir ainsi, le trouvant aussitôt si compatissant.
Ha ! pensai-je, bel ange tu es, mon Samson, mais non très bon gardien,
fort heureusement pour mes péchés.
Cependant, Caudebec allait
s’amollissant en cette auberge dont les deux anges cachaient deux diablesses,
dont l’une avait nom bonne chère et l’autre, bonne garce. La veille, il m’avait
dit qu’il partirait aux aurores. Mais le midi, n’ayant pas à ses côtés de Samson,
il ronflait encore, et à trois heures, ouvrant les yeux et s’étirant, il
réclama – sanguienne ! – des viandes et des vins. Ayant bu et
mangé, il déclara que le sage ménageait sa monture, et que pour laisser reposer
les chevaux, il ne partirait que le lendemain. Mais le lendemain soir, il
s’endormit à minuit sur les tétins d’une drolette, et n’ouvrit l’œil que le
surlendemain à midi. Et je crois bien que, remettant ainsi de jour en jour, il
eût goûté à tous les plats des Deux-Anges et paillardé tour à tour avec
les douze chambrières, si Frère Antoine, qui n’était pas sans pouvoir sur lui,
ne lui avait ramentevé que sa femme se mourait de fièvre en son château de
Caudebec, et qu’à tant tarder, le Baron risquait fort d’arriver à Rome après
que le Seigneur l’eut reçue dans sa paix.
C’est ainsi que les deux
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